Conseils d'écriture

Cachez cette cigarette que je ne saurais voir

Ou de la question du recours à la clope dans la fiction

LE PARI

Le tabac, c’est tabou… (Le Pari)

  • L’origine du débat.

Le 16 novembre dernier, la ministre de la Santé a soulevé la question de la place de la cigarette à l’écran, et plus largement, dans les œuvres de fiction. Il n’en a pas fallu plus pour qu’on parle d’interdiction, ce qu’elle a démenti le 21 novembre dans un tweet. Mais la polémique était déjà lancée. D’un côté il y a ceux qui reprochent au cinéma de donner une image positive du tabac. On se souvient alors des débats ou interviews télévisées réalisées dans une atmosphère enfumée. L’image de Gainsbourg, cool, anticonformiste, voire provocateur vient vite à l’esprit. De l’autre, il y a ceux qui crient à une grave attaque contre la liberté d’expression ou de création. Certains craignent même une purge dans la littérature.La ministre est finalement revenue sur le sujet en disant qu’il n’était pas question d’interdiction. Cependant, alors que le débat court toujours, on peut s’interroger, en tant que créateur (auteur, scénariste, réalisateurs, dessinateurs…) de la nécessité de faire un personnage fumeur.

L’acte simple d’allumer une cigarette n’est-il pas finalement un appauvrissement scénaristique ?

Les scènes de cigarettes sont souvent les mêmes voire clichées :

  1. Celle qui suit une scène de sexe.

Le personnage est là, dans le lit, nu à côté du partenaire et se penche sur la table de chevet pour prendre son briquet et son paquet. Le geste évoque le petit plaisir en plus, comme pour finaliser l’acte sexuel, un petit substitut pour prolonger le moment de plaisir.

Et si votre personnage avait une autre petite habitude ? Un verre de rouge, une tasse de thé, un carreau de chocolat, etc. Tout de suite, ce détail apporte plus de personnalité au personnage que la banale clope.

  1. Celle qui montre que l’on attend.

Elle ou il est là, dans la rue, et guette l’arrivée de son rendez-vous en retard. Ne sachant que faire, ou bien pour se donner une contenance, le personnage allume une cigarette. Ça doit être efficace, car bien souvent, l’autre arrive en courant et le héros laisse tomber sa clope à peine entamée au sol (et la poubelle alors ?!).

Et si, au lieu de cela, le personnage sortait tout simplement son téléphone pour surfer dessus, observait les passants, regardait une vitrine, ou encore jouait avec un bout de son écharpe ? Encore une fois, en agissant comme le ferait n’importe quel non-fumeur, il gagnerait en originalité.

  1. La stressée

Le moment est critique. Le tradeur se rend compte nerveusement qu’il va perdre des millions, le flic que l’interrogatoire tourne court, et l’épouse que son mari n’est toujours pas rentré. Du coup, pour se détendre ou passer le temps, ils fument.

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Jouer un billet sur le Titanic au poker, c’est stressant ! (Titanic)

Je ne sais pas si la cigarette détend particulièrement, mais je sais que les non-fumeurs peuvent tout autant stresser que les autres : ils tripotent un objet, font tourner un stylo, font les cent-pas ou encore agitent une jambe.

  1. Le « Excusez-moi mademoiselle, vous n’auriez pas du feu »

Cette image va de pair aussi avec le sauveur/séducteur qui arrive à la rescousse de la pauvre héroïne sans briquet. En plus d’être un brin sexiste, elle est surtout clichée. Déjà, je connais peu de fumeurs qui sortent sans briquet, mais en plus il y a bien d’autres façons de faire discuter deux personnages. L’un d’eux pourrait demander un renseignement, ou tout simplement l’heure.

  1. Le défaut facile

Souvent, on fait fumer le héros pour montrer qu’il a des défauts. S’il est flic, il est un peu alcoolique sur les bords. Si c’est un homme, il enchaine aussi les filles, si c’est une femme, elle n’a pas eu de relation depuis longtemps.

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Célibataire et fumeuse, pauvre Bridget (Bridget Jones)

Allez, on se creuse la tête et on trouve d’autres petits défauts ou mauvaises habitudes : il/elle oublie systématiquement de nourrir son poisson, commande toujours à manger à l’extérieur, laisse le linge humide dans la machine etc…

  1. La clope séductrice

Oui, je vous parle de cette cigarette fumée par la tentatrice au rouge à lèvres voyant. L’aspect phallique est à peine dissimulé, d’ailleurs ce n’est pas l’intention. La femme montre qu’elle n’a que faire des apparences et de la bienséance. Bref, une vraie rebelle. Donnez-lui un porte-cigarette, et vous avez la version classe.

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Clope, lèvres pulpeuses et flingue, la séductrice Mia (Pulp Fiction)

Est-ce vraiment utile ? Une femme peut avoir bien des manières pour séduire un homme sans forcément porter à ses lèvres un objet longiligne.

  1. Le rebelle

La version mec de la tentatrice. Le héros fume parce qu’il est cool et rebelle. Malheureusement, aujourd’hui il y a tellement de fumeurs que ça devient banal. Mention spéciale aussi aux fumeurs de joints, réservés aux étudiants ou aux jeunes parents en cachette de leurs enfants.

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Grease: si tu fumes, tu es cool

Et si votre personnage était cool pour une autre raison ? Exit les clopes, comme l’ont été avant eux les blousons de cuir noir et les bananes…

  1. Le méchant mystérieux

Cruella, Ratigan, « l’homme à la cigarette », ils sont nombreux ces méchants qui élaborent les plans ou expliquent leurs intentions finales dans un nuage de fumée.

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Je tourne le dos pendant tout le 1er jeu, je m’appelle « l’homme trouble », personne ne connait ma cachette ni mes attentions, mais je fume pour bien montrer mon côté mystérieux. (Mass Effect 2)

Est-ce vraiment utile ? Si votre antagoniste est suffisamment travaillé, vous n’avez pas besoin de tous ces stratagèmes pour le faire apparaitre mauvais ou mystérieux ou les deux. Vous pouvez aussi vous éviter le cancer comme punition « divine » pour son vice. Déjà parce que cette maladie touche tout le monde, et puis parce que le « gentil » fume tout autant (voir exemple ci-dessus). Pensez à Raines dans le Caméléon, sa bouteille d’oxygène si utile à rendre le personnage caractéristique n’est pas liée à la consommation de cigarette.

Conclusion

Sans aller donc jusqu’à l’interdiction de fumer dans les œuvres de fiction, cette polémique peut-être l’occasion de s’interroger sur le recours trop systématique à la cigarette. En tant que non-fumeuse, je n’ai jamais ressenti le besoin de faire fumer un personnage. Je reconnais cependant l’utilité de ces scènes, notamment dans les biographies ou quand il y a un vrai intérêt cinématographique (comme les jeux de lumière par exemple) ou scénaristique.

J’espère simplement que ce débat, au lieu d’être une violation de la liberté de création comme le crient certains, soit au contraire un encouragement.

3 Comments

  • Bilan de novembre – amelie hanser, auteur
    décembre 1, 2017 at 1:25 am

    […] profité du débat sur la cigarette en fiction pour sortir un article « hors série ». Vous pouvez le lire […]

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  • envolee92
    février 17, 2018 at 10:00 pm

    Entièrement d’accord avec ton analyse. La cigarette en fiction, why not, mais surtout pas si ça devient un automatisme, un raccourci scénaristique ! Comme tu dis, elle est bien trop souvent utilisée pour donner une pseudo-profondeur au personnage. Alors qu’au final, les fumeurs sont tellement nombreux aujourd’hui que ça ne donne aucun relief à une personnalité. De manière générale, ça rejoint une réflexion que je partage : stop aux clichés et oui aux personnages fouillés, humains !

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  • […] J’ai profité du débat sur la cigarette en fiction pour sortir un article « hors série ». Vous pouvez le lire ici. […]

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