Conseils d'écriture

Comment transmettre les informations dans un roman historique ?

Dernièrement, un de mes amis auteur et lecteur a soulevé un point qui m’a fait beaucoup réfléchir. À sa lecture du Crépuscule de l’aigle, il a émis des réserves sur ma façon de transmettre les informations historiques, en l’occurrence en utilisant la narration. Comme je termine la correction de mon troisième roman de ce genre, cette question m’a travaillée. Et si je pouvais faire autrement ? Après discussion avec ma bêta-lectrice, nous avons convenu que c’est une manœuvre compliquée qui dépend à la fois de la technique que de l’intention. Alors voici un article sur les différentes solutions :

  1. Utiliser un média

C’est une technique bien pratique pour donner les informations essentielles rapidement. Un article de journal, un reportage à la télévision ou une émission de radio permet d’informer le lecteur d’un évènement historique et parfois même de réaliser une rapide remise en contexte. Cette technique est souvent utilisée dans les films et les séries télévisées. Un extrait d’archive, le gros plan sur la une d’un journal et hop, le contexte est placé. On peut aussi se servir du média pour en faire un résumé, c’est nettement moins lourd que de retranscrire tout l’article, à moins de vouloir dissimuler un détail dans la page.

Inconvénient : Vous l’aurez deviné, cette astuce peut être utilisée essentiellement durant la période contemporaine, voire moderne. Il est donc nécessaire d’avoir une diffusion de la presse suffisante pour que votre personnage ait accès à cette information, ainsi que l’alphabétisation. On peut cependant imaginer un autre accès aux nouvelles via un crieur pour les évènements plus anciens, mais des informations seront moins développées.

Exemple : « Charles lui lança un regard méprisant et lui tendit le journal. Depuis le début du mois, l’incendie se propageait à travers le continent. À Berlin, à Vienne, à Neuchâtel et maintenant à Milan, les heurts éclataient. Les peuples d’Europe demandaient davantage de droit, et parfois même leur indépendance. » Les étincelles du Printemps, Amélie Hanser.

 

Le film JFK s’ouvre sur des extraits d’archives retraçant le mandat de Kennedy ainsi que son assassinat.

 

  1. Utiliser les personnages

Un échange est souvent l’occasion de transmettre des informations à un personnage, mais aussi au lecteur. Si l’auteur veut que celui-ci comprenne, il doit lui donner plus que le fait et expliquer comment on en est arrivé là, ainsi que les risques et conséquences de l’évènement. Il faut donc que l’informé soit autant ignorant de l’actualité que le lecteur.

 

Beaucoup d’informations passent par les dialogues. On peut facilement imaginer un échange de deux personnages autour d’un évènement. L’informateur explique à l’autre ce qu’il s’est passé, ou ce qu’il risque de se passer, et le prévient des risques et des conséquences de l’évènement.

Inconvénient : Personnellement, c’est une technique que je trouve très bancale, car elle crée un déséquilibre entre les personnages. L’informé dépend entièrement de l’informateur pour en tirer ses conclusions. Or, tout résumé des faits est naturellement biaisé par le point de vue de l’informateur. De plus, ce dernier obtient un ascendant sur l’autre. Dans un passé où les hommes étaient plus impliqués en politique que les femmes, on risque d’user le cliché de la femme naïve instruite par son mari. De plus, si l’auteur veut être exhaustif pour que le lecteur comprenne bien les enjeux, le dialogue risque de manquer de naturel, voire de crédibilité.

Exemple :
« De quel nom cependant pouvons-nous appeler
L’attentat que le jour vient de nous révéler ?
Il sait, car leur amour ne peut être ignoré
Que de Britannicus Junie est adorée :
Et ce même Néron, que la vertu conduit,
Fait enlever Junie au milieu de la nuit ! » Britannicus, Racine

Dans cette exposition, Agrippine informe surtout le spectateur. Albine ne témoigne aucune surprise de la nouvelle de l’enlèvement de Junie, elle est donc déjà au courant. Si on comprend le but au théâtre, l’échange n’est pas crédible dans un roman.

Pour plus de naturel, il faut donc travailler la raison pour laquelle l’informé ignore l’évènement. Il existe plusieurs possibilités :

  • L’absence du personnage : Imaginons qu’un personnage ait été absent durant une période et qu’à son retour, un autre doive l’informer des évènements. Un retour de la guerre, des Croisades, d’un long voyage, les possibilités sont nombreuses. Ce schéma est récurrent en fantasy ou fantastique avec la découverte d’un univers de la part d’un nouvel arrivant. Cette variante appliquée à l’histoire permet d’avoir un personnage méconnaissant les dernières actualités

 

  • la distance : séparer les personnages l’un de l’autre permet de diversifier les sources d’informations et rend crédibles les échanges. Dans Ma chère Louise, l’échange épistolaire entre les personnages permet de donner des éléments d’information.

Exemple : « Ma douce et tendre Louise,

Je t’écris après une opération difficile. Le premier novembre, mon régiment fut envoyé pour reprendre la butte de Tahure, qui nous a été enlevée. Je pensais avoir vécu le pire jusque-là, eh bien je me trompais, ma Louise. En deux jours, j’ai pu constater à quelles extrémités les Boches sont prêts à recourir pour nous anéantir. Cela a d’abord été une pluie d’obus ininterrompue pendant plusieurs heures. Notre progression à travers les tranchées a été si lente qu’il nous a fallu presque huit heures pour parcourir moins de cinq kilomètres. Les projectiles et l’orage ne nous permettaient pas de faire mieux. À cela, il faut ajouter la nouvelle trouvaille des Boches : des obus chargés d’un gaz terrible qui nous fait suffoquer et pleurer. Cela brûle les yeux à en hurler. » Ma chère Louise, Amélie Hanser

Ici, le héros prévient sa femme d’un changement d’affection, et donc de la mobilité des unités, les bombardements incessants mais également l’arrivée du gaz dans les combats. Louise, à l’arrière, n’est pas confrontée aux mêmes évènements.

  • l’expertise : c’est fondamentalement le rôle de la figure du mentor. Cette solution permet de rendre crédible le déséquilibre entre les personnages. On peut imaginer une scène entre un professeur et son élève ou un expert et un néophyte. Sous couvert de la leçon, le lecteur en apprend davantage sur l’actualité, l’histoire ou encore l’organisation politique. Plus largement, cette manœuvre permet à un personnage ayant plus d’expertise que l’autre de présenter une situation ou annoncer un évènement.

Exemple : « L’Angleterre, en particulier ses églises et ses monastères, possède de grandes richesses, mais nous ne savons pas nous défendre. J’ai discuté de notre histoire avec des hommes instruits, des évêques et des abbés. Si notre grand roi Alfred a chassé les Vikings, il a été le seul monarque à riposter efficacement. L’Angleterre est une vieille dame fortunée qui possède un coffre rempli d’argent, et qui n’a personne pour le garder » Le crépuscule et l’aube, Ken Follett.

Ici, Wilwulf, ealdorman de Stirling, échange avec Ragna, une noble normande, de la situation de l’Angleterre face aux Vikings, informant à cette occasion le lecteur du contexte politique et économique de la région.

Dans cet épisode, Georges VI explique à la future Elisabeth II le déroulé et la symbolique du couronnement. The Crown (S1ep.5)

  •  le débat : c’est une technique que j’affectionne particulièrement, mais il ne faut pas trop en abuser. Les différents points de vue et les désaccords permettent de passer les informations et de présenter le contexte, vu de différents points de vue. Quand on échange ainsi, il est plus naturel d’exposer des connaissances plus larges.

Exemple : « J’y ai vu bien des choses qu’aucun de vous n’a vues. Les milliers d’émigrants qui seraient trop heureux de se battre pour les Yankees contre le vivre et quelques dollars, les usines, les fonderies, les chantiers navals, les mines de fer et de houille… toutes ces choses que nous n’avons pas. Voyons, tout ce que nous avons, c’est du coton, des esclaves et de la morgue. C’est eux qui nous écraseraient en un mois.
Pendant un moment, le silence régna. » Autant en emporte le vent, Margaret Mitchell.

Dans ce passage, Rhett Butler présente ce que les autres personnages, sudistes, ignorent (ou veulent ignorer), à savoir la supériorité technologique des nordistes et le désastre annoncé.

 

  1. Jouer sur la narration

Utiliser systématiquement les personnages pour faire passer les informations, c’est multiplier les dialogues. Or, comme nous l’avons vu, se servir uniquement de ce moyen alourdit le texte, voire provoque de l’incohérence. L’autre solution serait de passer par le narrateur :

  •  La narration à la première personne. Certains romans historiques font le choix de la première personne. Bien souvent, ils prennent le format d’une chronique plus tardive. Avec le recul du temps, le narrateur sait quels évènements méritent d’être relatés ou expliqués au lecteur. Dans Les Chroniques saxonnes, Uthred s’adresse au lecteur pour revenir sur certains détails, les expliquer ou les justifier. Il en va de même pour Le nom de la rose, d’Umberto Eco ou encore Fortune de France de Robert Merle.

Exemple : « Dans mes vagues souvenirs de l’histoire de Charles-Edouard Stuart, le prétendant au trône, je savais qu’il avait été largement soutenu par la France, mais qu’une partie de ses fonds était provenue des maigres économies du petit peuple qu’il se proposait de gouverner. » Outlander, Tome 1, Diana Galbadon.

Dans cette saga historico-fantastique, le fait que Claire vienne du futur lui permet d’avoir la distance suffisante pour expliquer le contexte ou les évènements.

  • La narration à la 3e personne. Si la narration se fait à la troisième personne, alors la question de savoir comment expliquer les évènements se pose sérieusement. À mon sens, c’est la façon la plus fluide, car elle s’inscrit dans la même logique que les descriptions. On peut donner des explications plus amples au lecteur, plus complètes et libérées des idées des personnages. Cependant, cela peut casser le rythme et le style de lecture puisqu’on quitte les personnages pour se placer plus haut, une sorte de métanarration.

 Exemple : « À la fin de 1811, l’Europe occidentale procéda à l’armement intensif et à la concentration de ses forces, et en 1812 ces forces, des millions d’hommes (y compris ceux qui transportaient et nourrissaient les armées) se mirent en marche d’Ouest en Est, vers les frontières de la Russie, vers lesquelles, à partir de 1811 également, affluaient les forces russes. Le 12 juin, les armées occidentales franchirent ces frontières et la guerre commença, c’est-à-dire un événement contraire à la raison et à la nature humaine. […]. Qu’est-ce qui déclencha cet événement extraordinaire ? Quelles en furent les causes ? Les historiens disent avec une naïve assurance que les causes de cet événement ont été l’offense faite au duc d’Oldenbourg, l’inobservation du système continental, l’ambition de Napoléon, la fermeté d’Alexandre, les erreurs des diplomates, etc. » Guerre et Paix, Léon Tolstoï.

Ici, Napoléon et Alexandre ne font pas partie des personnages de Tolstoï. Pourtant, il a besoin de parler d’eux puisque leur guerre est le cœur du roman.

  •  La présentation hors du récit. Vous voyez ce texte sur fond noir en début de film, qui replace tout le contexte ? Et bien vous pouvez transposer cela dans un roman. Il peut prendre la forme d’un chœur ou d’une chorégie au théâtre ou à l’opéra, ou d’un prologue dans un roman. Cette manœuvre permet de donner une somme d’informations nécessaires qui serait trop lourde à intégrer au récit. Le lecteur reçoit un outil pour entrer dans l’histoire sans être parasité par d’éventuelles lacunes. C’est notamment le choix que j’ai fait pour Les étincelles du Printemps, car je sais que la Monarchie de Juillet est floue pour beaucoup.

Exemple : « Leur environnement même nous apparait familier. Les grands soubresauts géographiques, telle que la glaciation, ont pris fin. Les séismes sont encore fréquents, s’ils ne modifient pas les données du paysage, n’affectent plus la flore et la faune qui ressemblent déjà à la nôtre. Les grands monstres des marais, chers à notre imagination, ont disparus. Ils ont fait place aux chevaux, aux bisons, aux ours, aux lions et à tout un monde animal qui tente déjà d’échapper aux chasseurs. ». Ayla, l’enfant de la terre, Jean M. Auel.

Juste pour la blague. RRRrrr!!!, Alain Chabat.

 

  • Glisser les éléments dans le décor. Certaines informations ne méritent pas d’annonce particulière. Mieux, elles se fondent aisément dans le décor. On peut les glisser au travers d’une scène en décrivant le contenu d’un repas, un vêtement, un exemple d’organisation sociale, un détail, etc.

Exemple : « Adalide se glissa dans un coin de la pièce et sembla vouloir se faire oublier. Cassien la rejoignit avec un verre de vin qu’il lui tendit. Elle le saisit et le remercia. Cassien remarqua qu’elle huma les effluves de miel et d’épices avant de le boire, ce qui l’attendrit. » Le Crépuscule de l’aigle, A. Hanser.

Ce petit extrait est l’occasion de présenter la façon de boire le vin à cette époque : avec des épices.

  • Ne rien dire du tout

Parfois, les évènements historiques n’ont aucune importance pour l’histoire. C’est assez vrai pour les romances historiques. Si ce n’est personnellement pas ma tasse de thé ni comme lectrice ni comme autrice, l’honnêteté m’oblige à mentionner ce choix. Dans La colline aux esclaves de Katleen Grissom se passe entre 1791 et 1810 dans une plantation de Virginie. Le roman ne s’intéresse qu’aux personnages du domaine et aucune mention d’évènements historiques n’est faite. Dommage, j’aurais aimé en apprendre plus sur cette période. Ici, l’histoire sert surtout de décor. Pour être franche, cela m’a vraiment frustrée et donné un sentiment de huis-clos, mais c’est mon gout personnel. Il arrive également que certains romans s’intéressent à des périodes tellement traitées que ce n’est pas la peine d’expliquer le contexte. C’est notamment le cas pour les films de guerre. Pourtant, si les deux guerres mondiales peuvent être familières pour des Occidentaux, combien peuvent expliquer l’enchainement des événements ayant conduits à ce résultat? ( c’est notamment ce qui m’a motivée à faire commencer Ma chère Louise en 1913).

 

Le contexte historique, on s’en fout. Ce qui compte c’est que ça se tire dessus (non, je n’aime pas les western).

Alors quelle solution ?

Et bien, un peut tout à la fois. Il faut savoir jauger ce qui doit être dit et quand. La tentation pour moi serait de vouloir trop expliquer, parce que je suis passionnée et que j’ai envie de faire découvrir le passé à mes lecteurs. D’autres auteurs, moins à l’aise avec l’histoire, seraient tentés d’édulcorer les données. C’est assez compliqué et les lecteurs peuvent autant être rebutés que frustrés.

Si la littérature du XIXe était particulièrement détaillée (je suis encore traumatisée de La Chartreuse de Parme de Stendhal, et des premiers chapitres de Notre-Dame-de-Paris de Victor Hugo), la tendance aujourd’hui est plus à la légèreté. Pas trop non plus, car les lecteurs aiment apprendre (en tout cas les miens). Il faut donc un récit fluide, savamment dosé. Utiliser les médias permet de donner une information rapide, un dialogue est plus intermédiaire ou met l’accent sur le débat, tandis qu’utiliser le narrateur offre un résumé plus détaillé et plus naturel.

Et vous ? Qu’en pensez-vous ?

2 Comments

  • Nathalie baills
    mai 15, 2023 at 11:30 am

    Pour ma part, j’utilise les dialogues. J écris de la fantasy.

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    • Amélie H.
      août 25, 2023 at 4:58 pm

      Effectivement, c’est moins difficile en fantasy. Mais avec l’historique, les informations sont si complexes que j’ai peur de tomber dans la leçon d’un personnage à un autre.

      Répondre

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