Conseils d'écriture

Les personnages doivent-ils toujours être rationnels ?

Dernièrement, je suis tombée sur un avis de lecture qui reprochait au personnage principal de prendre des décisions incohérentes et illogiques. Ce commentaire m’a fait beaucoup réfléchir, notamment sur ce qu’on attend des personnages :

  1. Agir comme un modèle.

Pourquoi nous tournons-nous vers la fiction ? Que ce soit dans les livres, dans les films ou dans tout autre support, nous aimons suivre un héros aux prises avec le monde, les aléas ou encore le mal. À travers ses décisions, ses actes et surtout sa capacité à rester droit et honnête en dépit des coups durs, le motif du héros propose un idéal. Je dois vous avouer, j’ai aussi un faible pour ce type de personnage. Dans un roman avec plusieurs personnages principaux, j’ai tendance à préférer celui qui se conduit en beau chevalier, en parfait Jedi. Attention, je ne dis pas que ce type de héros est sans défaut, mais simplement que ses choix sont murement réfléchis.

Ces héros et héroïnes nous renvoient finalement à nos propres défauts. Ils présentent une version rêvée de nous-mêmes qui n’arrivons pas toujours à rester calmes, positifs et bienveillants dans les épreuves. Il existe même une série de livres intitulés Agir et penser comme…  avec le nom d’un héros (Harry Potter, Batman, Le Petit Prince) aux éditions de l’Opportun. On voit donc bien le motif du modèle à suivre.

Exemple : Dans le Seigneur des anneaux de JRR Tolkien, Aragorn est de ce type. Un roi si humble qu’il refuse la couronne, qui prend la bonne décision au bon moment avec sagesse et sang-froid.

  1. Trop de perfection tue la perfection.

Le risque avec le motif du héros parfait, c’est d’en faire une Mary-Sue ou un Gary-Sue. Ces surnoms péjoratifs traduisent le stéréotype du personnage trop parfait. À force de prendre LA bonne décision, ils perdent en humanité et gagnent en agacement. Car oui, le lecteur doit pouvoir entrer dans le fonctionnement du personnage. Un personnage qui a toujours juste, qui ne se trompe jamais agace et laisse un gout de facilité dans la bouche du lecteur.

Selon moi, c’est un défaut surtout lié au manque de préparation de la fiche personnage et en particulier de l’arc narratif. Ces héros parfaits sont agaçants parce qu’ils sont déjà accomplis dès le début de l’histoire. Ils n’ont aucune marge d’amélioration, car elle n’a simplement pas été mise en place. Ils sont donc achevés avant même d’avoir commencé le voyage.

Exemple : Bella dans la saga Twilight de Stephanie Meyer est un peu dans ce genre. Ses défauts n’en sont pas vraiment (elle est juste maladroite et amoureuse), et elle n’a rien de particulier hormis d’être impénétrable aux pensées d’Edward. Ses erreurs en termes de choix mettent surtout en avant le côté pervers de ses ennemis. Elle ne succombe jamais vraiment à Jacob et demeure toujours fidèle à Edward.

  1. Sans choix irrationnels, pas d’histoire

Soyons honnêtes, combien de romans et de films n’auraient pas eu lieu si le personnage avait agi dès le départ avec sagesse ?

Bilbon le Hobbit de J. R. R. Tolkien repose sur la décision impulsive d’un homme qui décide d’un coup de suivre treize nains et un magicien pour aller chasser un dragon d’une mine. Harry Potter de J.K. Rowling suit un géant inconnu qui lui promet de l’emmener dans une école spéciale où on apprend la magie (dit comme ça…). Combien d’appels de l’aventure se fondent sur une décision irrationnelle ? Mais pas seulement. Dans Roméo et Juliette de Shakespeare, les deux amants ne se sont vus qu’une fois et décident de se marier en secret. Il a fallu attendre Reine des Neiges de Disney pour entendre qu’il ne faut pas suivre le premier prince qui se présente. Et enfin, oui, construire un parc d’attractions avec des dinosaures vivants est vraiment stupide, surtout la seconde fois !

Je ne vois vraiment pas ce qu’il peut mal se passer.

  1. Et s’ils étaient simplement humains ?

Oui, mais alors comment ne pas tomber dans le cliché, tout en faisant des héros un modèle ? C’est là tout l’enjeu. Il faut laisser de la marge au personnage pour être pétri de passions humaines, le dessiner tout en nuances de bien et de mal (cf : voir cet article). Lui accorder le droit d’agir par colère, de se montrer envieux ou orgueilleux, de faire des erreurs. Pourquoi ? Parce que c’est ce que n’importe qui ferait. Nous pouvons tous être impulsifs, jaloux, tristes, défaitistes ou tout simplement faire de mauvais choix par simple erreur de calcul.

Les Grecs l’avaient bien compris dans leurs fictions. Les passions sont même le cœur de leur mythologie et de leur conception de l’humanité. Ulysse, malgré sa ruse et sa sagesse, commet régulièrement des erreurs de jugements ou de comportements (on en parle de Circé ?). À la fin de l’Odyssée, il mène une vengeance démesurée contre les prétendants et leurs concubines.

Plus récent, nous pouvons citer l’exemple de Dame Jessica dans Dune de Frank Herbert. Alors que sa mission était de donner une fille à Léto Atréide, pour des raisons de sélection génétique, Jessica désobéit et met au monde Paul. Cette décision agit à l’encontre des ordres et enseigne même les techniques Bene Gesserit à son fils. Cette énorme prise de risque demeure cohérente : elle aime profondément Léto.

  1. Éviter l’incohérence

Les rendre plus humains oui, leur faire faire des erreurs, certainement, mais attention tout de même. Car l’incohérence est un danger tout aussi grand que tomber dans le cliché de la perfection, et sans doute pire. Car si les lieux communs agacent, les graves erreurs sont difficilement pardonnées. Il faut éviter à tout prix que le lecteur ou le spectateur se disent « mais pourquoi il fait ça, c’est totalement stupide ! ». Et dans ce cas-là, la question de l’humanité ne tient pas lieu d’excuse.

Dans les films d’horreur, les choix stupides des personnages deviennent presque un rituel : se séparer pour trouver de l’aide, se rendre dans cette maison bien bizarre, perdue au milieu de rien avec des corbeaux qui volent autour, descendre quand on a entendu un bruit… Les « méchants » ne sont pas en reste de ces choix idiots. Conquérir le monde par soif de pouvoir en sous-estimant complètement la résistance (tiens, ça me rappelle quelqu’un ), tuer ses sous-fifres à la moindre erreur, séquestrer une femme pour qu’elle tombe amoureuse, vouloir détruire le monde juste comme ça, libérer un virus qui (sans surprise) devient hors de contrôle, automatiser complètement sa défense militaire… Dans le film le 5e élément de Luc Besson, le Mal veut détruire le monde. Certes mais après, comment se nourrir du mal lorsqu’il n’y a plus personne ?

C’est cher à former les officiels, les tuer à la moindre erreur ce n’est pas hyper productif non ? (L’empire contre attaque, G. Lucas, 1980)

À titre d’exemple, j’ai été très surprise par la stupidité de la décision de Ned Stark dans Game of Thrones de Georges R. R. Martin. Ayant découvert le secret de Cersei et Jamie et sachant que Jon Aryn est mort peu après cette même découverte, Ned juge que la meilleure chose à faire est de tout révéler à la principale intéressée. Même en considérant que Ned est honnête et droit, j’ai du mal à considérer cette décision comme cohérente. Ned est âgé, possède de l’expérience en termes de manœuvres politiques et a été largement averti que ses recherches le menaçaient lui et ses enfants. S’il avait été jeune et sans famille, j’aurais pu comprendre ce choix naïf, mais là, il a mis ses filles en danger direct. Pas étonnant qu’il ait subi cette fin-là.

  1. Comment allier cohérence et passions humaines ?

Selon moi, en préparant bien le terrain et travaillant soigneusement la motivation du personnage. Et oui, j’en reviens encore et toujours à ma planification et aux arcs narratifs. En créant les faiblesses des personnages et en appuyant dessus régulièrement pour montrer les réactions qui en découlent, vous évitez non seulement d’avoir un héros trop parfait, mais également vous préparez le terrain pour un futur choix irrationnel. Une bonne motivation peut justifier bien des choix stupides.

Dans Hunger Games de Suzanne Collins, Katniss est impulsive. Elle se met souvent dans des situations périlleuses, car elle a agi sur le coup de la colère et de la spontanéité. Ses mauvais choix sont donc cohérents. Dans Les chroniques saxonnes de Bernard Cornwell, Uthred (qui est aussi le narrateur) commet également de graves erreurs de jugement en fonçant tête baissée dans l’action, en faisant des promesses trop vite, ou en ne se demandant pas assez qui tire les ficelles. Le narrateur les reconnait a posteriori et avance l’excuse de la jeunesse. La question de son honneur est sa principale motivation, mais aussi ce qui cause plusieurs fois sa perte.

J’appuierai sur l’importance de la préparation par deux exemples audiovisuels qui ont pourtant été décriés. À mes yeux, je les ai trouvés très préparés :

Dans Star Wars, Anakin gère très mal l’abandon et la perte des êtres chers. Le décès de sa mère met en exergue son sentiment d’échec : il n’est pas intervenu tout de suite, et en obéissant au code Jedi, il n’a pu ni la revoir ni la mettre à l’abri. Sa colère envers lui-même, les principes de l’ordre et sa propension à la violence en cas de perte de l’être aimé sont annoncés dès L’attaque des clones. La série Clone Wars, devenue canon, donne plusieurs autres exemples qui mèneront à son basculement violent dans la Revanche des Siths. Sa motivation, garder Padmé en vie, justifie tous les moyens à ses yeux, car rien ne lui couterait plus que la perdre.

Si beaucoup de fans de Game of Thrones ont été surpris par la folie de Daenerys dans l’acte final, je l’ai trouvé personnellement très cohérente avec le personnage. De nombreux exemples de Targaryen montrent la propension de cette famille à la violence et la démesure. Ils ont cette folie dans le sang. Plusieurs fois dans la série, Daenerys réagit de manière violente et dénuée de pitié. Son dernier acte s’inscrit dans la vision qu’elle a toujours suivie : reforger le monde pour le rendre meilleur.

« Personne ne me traite de mauviette ». Certes Marty, mais tu ne fais pas le même gabarit, et tu n’as pas le temps pour ça.  (Retour vers le futur 2, R. Zermerckis, 1989)

Alors, oui, les héros peuvent faire des choix stupides, se montrer impulsifs et se mettre bêtement en danger, comme nous, mais dans une certaine mesure. Il vous faut donc naviguer entre l’écueil du personnage trop parfait et l’incohérence. Pour cela, plusieurs astuces existence, notamment dans la création du personnage, mais aussi dans la scène. Un choix stupide est souvent le fruit d’un manque de temps dans la prise de décision, mais aussi du manque de concertation. Il doit donc être l’œuvre d’un seul personnage, de personnages trop jeunes, et non de tout un groupe d’adultes. Cela dit, la réalité est parfois plus caricaturale que la fiction…

 

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