Le mois dernier, je vous avais parlé des intérêts de mettre une scène de dispute dans vos romans, mais sans vous dire comment. Aujourd’hui, je vous donne mes astuces :
- Inspirez-vous du réel.
Dans un premier temps, vous devez observer autour de vous. Analysez les disputes dans la vie privée, dans les films, les séries, les livres, etc.
Prenez votre carnet et observez :
— le déclencheur : ce n’est parfois pas le même selon les personnages : incompréhension, une saturation d’un événement répétitif, une limite franchie, etc.
— la dynamique : les monologues, les coupures de paroles, les interjections, les mimiques, les gestes faits et réprimés.
— les arguments : une dispute commence en étant rationnelle. Puis, petit à petit, l’échange bascule dans l’émotionnel. Les arguments deviennent de moins en moins constructifs. Le but est de blesser l’autre.
— Qui mène le jeu ? Jusqu’à quel point ? Parfois, c’est celui qui a commencé la dispute qui « balance » tout ce qu’il a sur le cœur. Il mène le jeu et domine l’échange. Les vannes sont ouvertes, mais pas toujours. Parfois, c’est l’autre qui, en se défendant, prend le dessus. Le tempérament des personnes joue aussi beaucoup (plus calme, plus mesuré ou plus manipulateur).
— Comment ça se résout ? La dispute peut prendre fin de plusieurs manières : par la violence physique et psychique, par l’un des deux qui quitte la pièce ou l’échange, par un temps de réflexion plus ou moins long, etc.
— Qui se « couche » et comment ? Est-ce que c’est toujours la même personne ou bien, pour une fois, celle qui capitule d’habitude décide cette fois-ci d’aller plus loin ?
— Y a-t-il des excuses, et sous quelles formes ? Je suis une grande partisane des excuses. Elles sont révélatrices de la personnalité des gens, et de leur capacité à reconnaitre leurs torts. Malheureusement, c’est un comportement qui reste rare. La fierté pousse souvent à nier leurs responsabilités, les reporter sur quelqu’un ou quelque chose d’autre, ou encore esquiver la demande d’excuse. Ce passage dévoile également la volonté de l’un ou de l’autre de passer à autre chose et de calmer les tensions.
— Est-ce que les excuses sont acceptées ? Là encore, c’est assez révélateur. Parfois, l’un des deux (ou les deux) pardonne. Mais jusqu’à quel point ? Est-ce que les reproches étaient suffisamment graves pour rendre le pardon impossible ? Car oui, le pardon n’est pas automatique. Pire, c’est un cadeau (et non un dû). Libre à chacun de l’offrir ou non, en fonction de ses capacités.
— Reste-t-il de la rancœur après ? Parfois, en dépit des excuses et de l’apparent pardon (même s’il est donné de bon cœur), il reste de la rancœur et de la colère.
- Préparez la scène
Après avoir observé, vous devez préparer la scène. Vous ne pouvez pas tout mettre et savoir quels éléments essentiels la constituent.
Il faut savoir à quels arguments il faut renoncer. Si cela ressemble à un déballage, il doit être savamment orchestré. Choisissez les idées les plus efficaces et tranchantes. Il y a une part de vrai dans les disputes, mais pas toujours là où on le croit. D’ordinaire, on évite de blesser l’autre, mais dans le cas des disputes, ça peut devenir le but pour susciter une réaction chez l’autre, une prise de conscience de la vérité. Celle-ci peut être explicitée ou bien devinée par le lecteur par la réaction du personnage (son point faible, ses peurs).
Attention encore une fois au portrait qui ressortira de votre personnage. Un personnage peut vite devenir toxique et lever les drapeaux rouges auprès de lectorat. Si c’est le cas, pensez à soigner la réconciliation ou la remise en question par après.
- Mettez-la en forme :
Dans une dispute, il y a deux aspects à prendre en compte : la forme et le fond, là où un dialogue classique va peut-être moins se concentrer sur la forme.
Une scène de dispute peut paraitre longue visuellement, car elle ressemble à un enchainement de tirets. Il faut donc alterner avec des tirades un peu plus longues et des réactions. Faire des pauses pour permettre à la tension de redescendre un tout petit peu, sinon le ping-pong va lasser le lecteur. Je conseille de profiter de ces pauses pour décrire les sentiments ou les gestes du personnage, avant de reprendre l’échange. Dans le Vent des secrets, ma grosse dispute fait 7 pages. Il est donc nécessaire que, visuellement, elle ne ressemble pas à 7 pages de tirets cadratin.
Jouer sur les tons avec les verbes. Cela permet de monter crescendo dans l’échange et la tension. Au début, les personnages parlent, échangent. Puis, ils se coupent, lancer des interjections, et pour finir, crient et hurlent. Évitez « dire », qui justement ne veut rien dire. C’est donc l’occasion de jouer avec les verbes de dialogue.
Je vous conseille aussi d’éviter l’alternance de points de vue au sein de la scène, ce qui peut casser la dynamique. C’est intéressant d’avoir la scène du point de vue de l’un, et de reporter après celui de l’autre, surtout si ce sont vos héros et si vous ne voulez pas que l’un ressorte comme le méchant, mais simplement comme un personnage qui a mal.
Une des techniques pour voir si un dialogue tient la route, c’est de le lire à voix haute. Relisez-le, jouez-le. Vous verrez si la dynamique fonctionne. Si vous êtes essoufflés, alors vos personnages aussi, et le lecteur aussi. On en revient à la question du rythme.
J’espère que vous verrez autrement les scènes de dispute dans la fiction et que vous aurez plaisir à les utiliser. Évitez juste d’en provoquer pour les analyser.

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