Rien que son nom fait frémir. On le dit sanguinaire, violent, terrible. Si vous fermez les yeux, vous verrez sans doute un homme terrible, aux traits asiatiques, les dents pointues et des yeux terrifiants. Bref, un méchant de Disney. Pourtant, le « fléau de Dieu » n’est pas aussi caricatural. En Hongrie, il est même considéré comme un héros national. Alors qui était cet homme ?
- Les Huns.
Pour en savoir plus sur Attila, il faut d’abord expliquer qui étaient les Huns. Originaires d’Asie Centrale, ils assimilent au cours du IVe siècle par des alliances ou des guerres, des peuples plus à l’ouest comme les Alains ou encore les Ostrogoths. Leur empire se décale donc peu à peu vers le Caucase et l’Eurasie. Leur expansion exerce une pression sur les voisins de l’Empire romain. Il faut dire que la réputation des Huns est violente. Ils procèdent par des raids, durant lesquels ils violent et pillent. Vers 400, ils sont aux portes du tout jeune Empire romain d’Orient.
Le mode de vie des Huns détonne avec ceux des Romains. Nomades, ils vivent dans des yourtes et sont d’excellents cavaliers. Pour les Romains, habitués aux villes construites et organisées, « le peuple des steppes » est constitué de barbares. Païenne, chamanique et orale, la culture hunnique est donc fortement dépréciée par les Romains de plus en plus christianisés.
- Attila, le personnage.
Né autour de 400, Attila est le neveu du roi Ruga, un combattant victorieux qui menace toujours plus l’Empire romain. À la mort de Ruga en 435, il devient roi avec son frère Bleda, qui meurt à son tour dans des circonstances peu claires vers 445. Il règne alors seul sur l’empire hunnique.
Contrairement à ce que l’histoire romancée nous enseigne, Attila n’est pas un rustre violent. Il est cultivé, parle le latin et connait très bien Rome. Il faut dire que les cours hunniques et romaines ont échangé des otages d’honneur. Cette pratique diplomatique consiste à envoyer un jeune prince ou une personnalité dans une cour étrangère. Chez Ruga, c’est Aetius qui a été chargé de ce rôle. Retenez bien ce nom, il reviendra souvent. Durant son séjour, le jeune Aetius a sans doute servi de précepteur à Attila, et les deux hommes ont conservé entre eux une profonde amitié. Plus tard, Attila a été envoyé quelque temps à Rome.
De retour chez lui, il épouse de nombreuses femmes. Chez les Huns, les mariages sont avant tout politiques. Ses épouses sont donc autant d’alliances diplomatiques.
- Ami ou ennemi ?
Si les Huns représentent une menace militaire pour les Romains, ils s’avèrent être également un formidable atout. Durant quelques années, les Huns servent de mercenaires à l’Empire romain d’occident. Notamment en 436, aux côtés d’Aetius contre les Burgondes (oui, de nouveau eux).
De plus, les échanges diplomatiques montrent que le lien entre ces deux factions n’est pas rompu. Durant un temps cependant. Les relations se dégradent par la suite, sans qu’on sache trop pourquoi. Certains historiens présentent Attila et son oncle comme des hommes belliqueux et avides de tributs. D’autres avancent plusieurs vexations de Constantinople à leur encontre : transfuge par les Romains de peuples fédérés à Attila, refus de titres honorifiques, violation de traités, etc. Théodose, empereur d’Orient, perd peu à peu du terrain. À chaque traité de paix, il s’engage à payer des tributs de plus en plus lourds à Attila qui, à défaut de paiement, continue d’attaquer. En 448, Attila profite de la fragilité des murailles suite à un séisme pour menacer Constantinople, sans la prendre pour autant. En 449, Attila échappe à une tentative d’assassinat et impose des compensations encore plus lourdes. Le nouvel empereur, moins pacifique que son prédécesseur, augmente les tensions.
Jusque-là, l’Empire romain d’Occident évitait de se mêler du sujet. En 450, Honoria, la sœur de Valentinien III (l’empereur d’Occident) appelle Attila à l’aide pour la sortir d’un mariage dont elle ne veut pas. Elle lui envoie alors une bague sigillaire, sans doute pour prouver son identité. Attila, lui, y voit (ou prétend voir) une demande en mariage. Évidemment, Valentinien refuse au risque de le vexer. Il n’a pas peur. Macrien, empereur d’Orient, lui a promis son aide. En 451, Attila commence donc à viser Ravenne, capitale de l’Occident. Les Alpes étant bien gardées, il décide de passer par la Gaule, également parce qu’elle est riche.
- Le début de la fin.
Durant plusieurs semaines, les Huns progressent dans le nord de la Gaule et pillent de nombreuses cités : Metz, Auxerre, Orléans… Paris est évitée, grâce à sainte Geneviève selon l’hagiographie, ou en raison de son manque d’intérêt selon les historiens (Lutèce est repliée sur une île entourée de marais). Attila tente une manœuvre diplomatique : demander aux Wisigoths de s’allier avec lui contre les Romains, et fait la proposition inverse aux Romains. Finalement, Aetius, en charge de la défense de la Gaule, forme une coalition de fédérés (Francs, Wisigoths, Burgondes…) pour contrer Attila.
Lors de la Bataille des champs Catalauniques en 451, Attila est défait. Il se replie avec son butin durant la nuit. Au petit matin, Aetius le laisse partir sans son or avec une armée très réduite. Fin de la partie, ou presque.
Pourquoi Aetius l’a-t-il laissé en vie ? Au nom de leur longue amitié ou bien parce que cette connaissance des Huns garantit sa propre utilité au sein de l’Empire ? Aetius sort plus puissant de cette crise, mais aussi plus détesté.
L’année suivante, Attila retente le coup en passant par l’Italie. Aetius n’est pas appelé, sa disgrâce est claire. Finalement, le manque de troupes et une épidémie déciment les Huns. Le Pape Léon intervient pour négocier. L’Église en sort grandie, et non l’Empereur. Attila se retire et meurt l’année suivante. Les causes de son décès ne sont pas claires. Il meurt d’un saignement de nez lors de sa nuit de noces. Peut-être est-ce un assassinat ou bien simplement s’est-il étouffé dans son ivresse ? Son lieu de sépulture est encore un mystère. On dit que sa tombe a été cachée.
Par la suite, son empire trop grand est partagé entre ses fils et les guerres de succession. Les Huns se divisent en petits peuples qui changent de noms selon leur région.
- Un indicateur de changement
Cet épisode révèle plusieurs changements dans l’histoire de l’Empire romain. Tout d’abord, l’Orient, malgré sa promesse, ne vient pas aider l’Occident dans la menace. Pire, chacun se réjouit qu’Attila s’intéresse à l’autre. La séparation, administrative au départ, se creuse.
La fin des Huns comme menace laisse le champ libre à d’autres puissances, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Empire romain. Peu après, l’Occident s’inquiète des Vandales, ainsi que les Wisigoths et les Burgondes qui s’agrandissent. La disgrâce d’Aetius fragilise aussi Valentinien.
L’intervention du Pape et son succès diplomatique témoignent de l’émergence de l’Église comme puissance politique, aux dépens du pouvoir impérial.
- Alors, pourquoi Attila parait-il si monstrueux ?
Parce que son histoire dépend d’auteurs chrétiens en l’absence d’écrits hunniques. On connait Attila par l’hagiographie (sainte Geneviève, Léon le Grand, sainte Ursule…). D’autres auteurs chrétiens comme Saint Augustin ou Grégoire de Tours se sont fait plaisir à le décrire comme un fléau. Après une vague réhabilitation au XIXe siècle, l’image d’Attila revient dans les médias pour caricaturer les Allemands durant la Première Guerre mondiale.
En Europe centrale, l’image est plus nuancée, voire positive. Au Xe siècle, les Hongrois en font un héros national. Dans la célèbre épopée, La Chanson des Nibelungen, le personnage d’Etzel est assimilé à Attila. Du reste, ce prénom est encore courant en Hongrie.
On peut se demander qu’a fait Attila de si terrible pour l’époque. Les Romains ont soumis bien plus de territoires que lui, avec des méthodes toute aussi violentes. Il n’a ni été le premier ni le dernier. De plus, il n’a pas plus profité du déclin de l’Empire romain d’Occident que d’autres peuples tout autant opportunistes.
On peut difficilement parler d’Attila sans Aetius et leur relation étrange, entre amis et ennemis.
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