Avertissement : Cet article ne se veut pas donner de leçon, mais plutôt attirer l’attention sur nos pratiques d’auteurs, et nos réflexes scénaristiques. Il reflète uniquement mon point de vue sur la question, et naturellement, chacun peut y adhérer à des degrés variés, voire pas du tout.
La culture du viol, c’est quoi ?
En réalité, cela ne concerne pas seulement l’agression en tant que telle, mais tous les comportements qui l’encouragent, qui placent la victime (majoritairement des femmes) comme une propriété dont les agresseurs disposeraient à leur convenance. De plus en plus de voix s’élève contre des automatismes scénaristiques, des discours ou encore des schémas de pensées qui mènent à banaliser l’agression.
En quoi ça nous concerne ?
Durant longtemps, je n’avais pas conscience de ces motifs littéraires récurrents qui perpétuent la culture du viol, et il m’est même arrivé de les utiliser. Par automatisme ? Par praticité ? Bonne question, toujours est-il qu’un jour, en lisant un article de Mythcreants sur le sexisme dans l’écriture, j’ai pris conscience de ce problème, et je me suis interrogée sur mes écrits.
- Mesurer la portée de nos récits
En remarquant le nombre de films et de séries issus d’un livre, j’ai compris à quel point les auteurs ont un impact sur le paysage littéraire et télévisuel. Si moi, en tant qu’adulte, j’ai été surprise, voire lassée de constater que presque 90 % des films, livres et séries qui sont passés sous mes yeux en un an comportent une agression sexuelle ou un comportement toxique, alors qu’en est-il des adolescents et jeunes adultes en pleine construction ? En tant que créateurs de contenu, n’avons-nous un rôle à jouer dans ce paysage de violence ?
Je me suis demandé comment je pouvais activement agir sur ce sujet qui me faire peur en tant que femme et en tant que maman. Comment, en tant qu’autrice je me place dans cette question ?
- La question de la banalisation
Sans aller jusqu’à la normalisation, je crains une banalisation du viol. Au même titre qu’une nouvelle bombe dans des régions en guerre suscite chez nous un intérêt lointain, ne risquons-nous pas de lire, un peu blasés, une scène d’une telle violence ? Ce serait contre-productif alors.
- Ne pas se censurer pour autant.
Le but de mon article n’est pas de nous censurer, bien au contraire. Il ne faut pas non plus brider notre travail et éviter tous les sujets sensibles, ce qui est une partie de notre rôle d’artiste, mais plutôt de nous amener à réfléchir sur la pertinence de nos choix scénaristiques. Je reconnais moi-même que je n’arrive pas toujours à éviter la question, en particulier avec les personnages esclaves.
Comment faire alors ?
- Prendre conscience de leur récurrence
Après un énième épisode de viol dans une série télévisée, scène à laquelle je ne m’attendais pas vu le genre, j’en ai eu assez. Je me suis rendu compte que presque toutes les séries ou tous les livres que j’avais lus en un an comportaient soit un viol, soit une tentative, soit une relation abusive et franchement toxique. Cette récurrence a provoqué chez moi un ras-le-bol, en particulier parce qu’on retrouve cette culture du viol dans tous les genres : romances, historique, SF, Fantasy etc.
- Non, un manipulateur n’est pas sexy (peu importe son compte en banque)
C’est un sujet indémodable. De la Belle et le clochard à Grease, le schéma de la fille sage qui tombe amoureuse d’un « Bad boy » fonctionne toujours autant, et permet de montrer la cohabitation de deux mondes. D’accord, mais de plus en plus de romances font passer pour romantique un comportement qui ne l’est pas. Non, Edward ton amour pour Bella ne justifie pas que tu puisses l’espionner. Dans 50 nuances de Grey de E. L. James , Christian Grey offre à sa belle une voiture, parce qu’il n’aime pas celle qu’elle a, lui offre un ordinateur avec une messagerie qu’il surveille et surtout lui impose sa contraception et le choix du gynécologue. Non, ce n’est pas romantique, c’est toxique.
Vous pouvez écrire ce type d’histoire, mais soyez conscient que c’est de la Dark Romance. Et contrairement à ce qu’un auteur m’a soutenu un jour, non toutes les femmes ne veulent pas ça.
- Entre honneur et punition
Bien souvent, un viol ne sert qu’à une chose dans le scénario : justifier une vengeance, en grosse majorité celle du héros. Parce que oui, trop souvent, l’histoire glisse sur le protagoniste, à l’honneur bafoué qui se fait un devoir de défendre sa belle. Ce motif du « rape and revenge » donne la responsabilité de l’honneur à l’homme et sous-entend que la vengeance est la seule réponse et le seul moyen pour surmonter le traumatisme (c’est sympa pour les psys !). Alors qu’en réalité, les façons de réagir sont multiples.
Une agression, qu’elle aboutisse ou non, est souvent l’occasion pour l’auteur de punir son héroïne d’être sortie de la place qui doit être la sienne. J’ai failli hurler en voyant les derniers épisodes de la saison 5 d’Outlander. Lors d’un viol collectif très malaisant (j’ai d’ailleurs accéléré le passage), l’un des hommes dit à la victime qu’ainsi elle apprendra où est sa place. Ça lui pendait au nez, cinq saisons à être une femme moderne, à tenir tête aux hommes, à faire autre chose que la cuisine et la couture… D’ailleurs, plusieurs fois dans cette saison, on lui dit qu’elle devrait avoir peur des hommes. Ça vous parait anecdotique ? Pourtant notez le nombre de fois où une femme dans un film se fait agresser alors qu’elle rentre tard et seule le soir, ou bien parce qu’elle tient tête aux hommes, ou bien s’habille avec des vêtements courts. Sauf ce que sont les mêmes arguments dans la vie réelle. Le risque est de sous-entendre que les femmes doivent rester à leur place. Naturellement, peu de personnes le pensent, pourtant ce genre de discours est surreprésenté, ce qui risque d’engendrer une banalisation.
- Mieux construire ses personnages
Bien souvent, à la base nous avons une problématique : un personnage mal construit, soit l’antagoniste, soit l’héroïne. Dans le premier cas, l’auteur a besoin qu’il soit méchant, et lui fait faire des choses de méchants, tuer un petit chien, détruire la Statue de la Liberté, agresser les femmes. Dans Le crépuscule et l’aube de Ken Follett, Wigelm n’est rien d’autre qu’un agresseur. Il est caractérisé ainsi dès le début, et l’auteur ne prend pas la peine de construire davantage un personnage qui prendra pourtant une place importante.
Lorsqu’il s’agit de l’héroïne, le viol sert malheureusement trop souvent de justificatif à son caractère « dur à cuire ». En 2013, la polémique autour de la sortie du jeu Tomb Raider avait fait la une de plusieurs journaux. Alors que non, une femme peut avoir envie de liberté, peut mener une révolution, peut entrer dans l’armée, bref mener des actions violentes, simplement par conviction. D’ailleurs, l’histoire est pleine d’exemples. (Simone Veil, Olympe de Gouge, Rosa Parks, Marie Curie, Emmeline Pankhurst et de nombreuses autres encore).
- Êtes-vous prêt à aborder la question pleinement ?
Encore une fois, je ne prône pas le silence, bien au contraire. Vous pouvez complètement en faire le sujet central de votre récit. D’ailleurs, toute l’histoire de Servante Ecarlate de Margaret Attwood tourne autour de June qui doit subir les agressions mensuelles de son maître.
Dans la saison 2 de la série 13 Reasons why, avec le procès de Brice, cette question est au cœur de la série. C’est annoncé, et la série se veut militante sur ce point. Le spectateur connait le sujet traité. Et même si j’ai trouvé cette saison problématique sur le traitement d’Anna, le personnage de Jessica montre les différentes façons de réagir entre le militantisme, le silence et le déni.
Revenons sur l’intrigue de la belle agressée. Tandis que son amoureux veut obtenir justice à coup de hache, elle attend sagement à la maison et ne se remet complètement que lorsque le méchant est mort. Son traumatisme ? Sa difficulté à surmonter sa peine ? Aux oubliettes.
- La solution la plus abordable ? Normaliser le bon comportement.
Parce que oui, « not all men ». Et si, nous banalisions ceux qui se conduisent normalement ? S’il était normal d’être aidée lorsque l’on crie dans la rue ? Si nous lisions plus d’histoires avec des personnages qui interviennent lors d’une agression dans le métro, de copains qui recadrent une remarque misogyne, plus d’héroïne qui rentrent le soir sans que rien ne leur arrive, qui ne trouvent pas sexy un pervers manipulateur, de copines qui lui disent que le petit ami n’a pas un comportement sain ? Pas besoin d’être super héros, non, juste un être humain.
Normaliser le consentement. C’est le choix que j’ai fait il y a peu. Dans mes derniers romans, je fais attention que lors du premier rapport entre mes personnages, le héros demande expressément à l’héroïne, et que celle-ci marque clairement son accord, sans la moindre ambiguïté.
Encore une fois, le but n’est pas de vous donner une leçon. Je partage mon ras-le-bol d’un schéma qui me dérange, ainsi que la réflexion en a découlé.
Est-ce que je suis irréprochable ? Non.
Je ne suis pas parfaite, et il m’est arrivé de poser ça et là une tentative ou une relation abusive. Puis, je me suis interrogée sur ma pratique et j’ai fait un choix. Celui de limiter l’utilisation de ces schémas dans mes livres, de ne pas n’y avoir recours qu’à intervalles espacés dans ma bibliographie, mais surtout de me concentrer sur la valorisation des bons comportements. C’est aussi un défi, puisqu’il me contrait à réfléchir à mes scènes et à certains automatismes que je pourrais avoir, mais c’est ma façon d’apporter ma pierre à l’édifice qu’est la lutte contre la culture du viol.
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