On parle souvent du protagoniste et de l’antagoniste, car la lumière est naturellement sur eux. Si ce n’est pas le cas, alors l’auteur s’est trompé de personnage principal. Et pourtant, dans l’ombre, juste derrière le protagoniste se glisse un personnage indispensable : l’ami. Son rôle n’est pas simplement de porter le sac à dos et de sortir son épée de temps à autre ou de faire-valoir. L’ami est un ressort scénaristique que j’utilise systématiquement, parce qu’il apporte beaucoup à l’histoire. Alors voilà pourquoi nous avons toujours besoin d’un Sam :
-
Un atout pour le caractère du héros
Rares sont les histoires dans lesquelles le héros agit seul. Même Crusoé trouve son Vendredi. C’est même plutôt mauvais signe si votre antagoniste parcourt le monde seul dans le moindre ami. Lui rajouter quelqu’un à ses côtés augmente tacitement son capital sympathie. Cela montre qu’il est apprécié et qu’il se conduit bien avec les autres. Un acolyte rend votre héros attirant pour le lecteur. Haymitch le dit très clairement dans Hunger Games de Suzanne Collins. Katniss n’était pas franchement chaleureuse, son capital sympathie passe par Peeta dans l’arène. De même, c’est sa réaction vis-à-vis de Rue qui la fait aimer du public.
L’ami est aussi un bon exemple pour mettre en avant la loyauté du héros (c’est personnellement la valeur que je préfère chez les gens, et bon sang, qu’elle est rare !). La loyauté est une grande force morale. Elle implique que le héros n’agisse pas avec facilité, mais défende la justice et la fidélité. C’est une qualité digne des meilleurs chevaliers et que nous sommes habitués à attendre de la part du personnage principal. Dans Harry Potter, Harry fait preuve de loyauté à de très nombreuses reprises, et c’est sans doute pour cela qu’il plait tant au lectorat.
L’ami permet aussi de placer le protagoniste dans des circonstances qui le valorisent. Parce qu’il reste son ami, peu importe ce qui se passe ou son comportement. Même si l’acolyte est responsable de la situation (parce qu’il est parfois un gros boulet), le héros viendra l’aider et le sauver en dépit du danger.
-
Une relation pratique
L’ami est un confident. Personnellement, je suis adepte des confidences dans mes romans, car elles permettent au héros de s’épancher tout en évitant le gros paragraphe d’introspection. Bref, cela permet d’éviter le fameux « tell » (voir le show don’t tell). Une discussion intime entre le héros et son ami offre la possibilité de livrer ses craintes, ses frustrations et ses inquiétudes tout en conservant de la cohérence. Votre lectorat a besoin de connaitre les pensées du personnage principal, même s’il est entouré d’ennemi et ne peut se confier. Comme j’écris à la 3e personne, je peux encore moins le faire. L’alternative serait d’écrire à la 1e personne ou offrir des passages de journal intime (et encore, cela reste risqué si quelqu’un tombe dessus).
Un ami est également un formidable soutien émotionnel. Comme toute personne, le protagoniste ne peut être au top de sa forme et de son moral en continu (à moins qu’il soit dans le contrôle de ses émotions, mais il faut le laisser « craquer » à un moment). Comme n’importe qui, il doit éprouver des difficultés à s’apaiser seul. Un ami calme les angoisses du héros.
Un ami permet aussi d’offrir une différence de point de vue, sans que cela crée pour autant de la tension (enfin normalement). Il apporte également une autre vision de la situation voire même « secoue » un peu le héros. Dans Rien que toi et moi (et nos filles), Claire a un tempérament plus direct que celui de Sophie, et n’hésite pas à la houspiller pour qu’elle fasse face à ses sentiments.
Toujours dans la pluralité des points de vue, un ami est aussi là pour apporter des idées et des solutions. Stranger Things illustre parfaitement ce mécanisme que n’importe quel rôliste reconnaitra.
Enfin, un ami permet aussi d’apporter de l’émotion à la scène. Il n’est pas rare que l’ami soit un ressort comique du héros en plaçant une blague ou un gag après une situation lourde émotionnellement. Georges Lucas est adepte de ce modèle, en particulier dans l’ami est métallique, car c’est le rôle de R2d2 et de BB8 (et de Jar Jar). Au contraire, la mort de l’ami permet de montrer la dangerosité de l’antagoniste tout en conservant votre protagoniste.
-
Un atout dans l’action
Un ami, c’est aussi une personne avec des compétences différentes. La fantasy utilise très largement ce concept avec le groupe de combattants. Le meilleur exemple reste Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, avec sa communauté constituée de quatre hobbits, un archer, un nain, deux chevaliers et un magicien. C’est quand même plus facile pour Frodon d’être accompagné pour sa quête.
Lorsque les amis viennent avec leur propre histoire (passée et à venir), cela permet d’enrichir la trame principale avec des trames annexes connectées. Je reconnais que c’est un peu ma marque de fabrique. Dans La Terre des Héros, les personnages du groupe d’Aleya possèdent tous leur arc narratif qui, comme les pièces d’un puzzle, finit par interférer avec celui d’Aleya.
Les amis permettent également d’apporter un vécu différent à la même histoire. Dans le livre Quatre filles et un jean d’Ann Brashares, on suit l’été de quatre adolescentes avec leur problème, leurs attentes et leurs premiers amours.
Enfin, l’ami est aussi le sauveur du héros, et pas seulement par son soutien. Parfois, c’est lui qui ramène le protagoniste vers la lumière. L’un des meilleurs exemples reste Sam dans Le Seigneur des Anneaux, un modèle de loyauté et de dévouement infini. On t’aime Sam Gamegie.
-
La relation comme ressort scénaristique
L’amitié entre l’acolyte et le protagoniste ne se résume pas seulement à en faire un simple adjuvant. Elle peut aussi prendre une place centrale dans le thème de l’histoire.
L’amitié peut être source de tensions. Après tout, il arrive que des amis se disputent, par incompréhension, dissentions voire jalousie. Dans Firefly Lane, de Kristin Hannah, le roman s’intéresse à l’amitié entre Kate et Tully. Même si elles sont inséparables, il leur arrive de se disputer gravement. La tension est poussée à son paroxysme quand un ami meurt. On ne compte plus les films d’actions avec le héros qui veut venger son ami. Je prendrais un exemple plus littéraire avec la mort de Mercutio qui pousse Roméo à tuer Tybalt et précipite son sort (Roméo et Juliette de Shakespeare).
L’ami est aussi celui qui se sacrifie pour sauver le héros. Parce qu’il sait qu’il n’est pas le héros, qu’il croit en lui et que sa cause est bien plus importante que sa propre vie.
Parfois, un ami peut trahir. Si ce motif est récurrent, il n’en reste pas moins efficace pour plusieurs raisons. La première c’est qu’il résonne forcément dans le cœur du lecteur. Nous avons tous connu un jour ou l’autre la trahison sous une forme ou une autre, et elle nous a brisé le cœur. La seconde, c’est qu’elle rompt complètement la situation qui était initialement présentée : « Untel est quelqu’un de confiance ». Il était mis dans la case du bien, de l’ami sur lequel compté, sauf que finalement non. Le personnage est tout autant trahi que le lecteur. La dernière fait écho à la valeur primordiale que nous attendons d’un personnage et dont j’ai parlé : sa loyauté. L’une des trahisons les plus célèbres et celle de Lancelot vis-à-vis d’Arthur. Impardonnable.
À l’inverse, il arrive que la relation d’amitié évolue pour quelque chose d’autre. Parfois, c’est ambigu, comme dans De bons présages de Terry Pratchett et Neil Gaiman, parfois c’est nettement plus explicite. L’intrigue « Friends to lovers » est tellement recherchée qu’elle est devenue même un argument dans la romance (et fonctionne très bien sur moi).
La valeur de l’amitié baigne notre paysage littéraire et audiovisuel. De Tchoupi à Friends en passant par la plupart des Disneys, l’importance de l’amitié est un message universel transmis sur tous les supports et à tous les âges. Je ne pourrais pas faire la liste des romans, films, séries, jeux, BD, tableaux ou chansons qui traitent de ce sujet tant il est essentiel. Comme une madeleine de Proust, il nous renvoie à notre enfance et aux moments doux avec nos propres amis.
« Tous pour un, un pour tous », Les Trois Mousquetaires, Alexandre Dumas
Pas de commentaire