Conseils d'écriture

Les voyages dans le temps en fiction

Aujourd’hui, je voudrais m’intéresser aux voyages dans le temps dans la fiction. Thème indémodable, il peut aussi vite devenir périlleux. En effet, permettre à un personnage de voyager dans le temps, c’est lui donner un pouvoir énorme, presque divin. Or, qui dit grand pouvoir, dit grandes responsabilités. Avant de vous lancer, vous devez être conscient des limites et des problématiques soulevées par ce sujet. De plus, trop de puissance rendrait l’histoire inintéressante, voire incohérente. Voici quelques pistes pour éviter les écueils :

1. Préparer le récit : limiter l’accès au voyage.

Si le personnage peut voyager à volonté dans le temps, il peut très vite faire tout ce qu’il désire et s’affranchir de toutes les règles.

Le premier levier est d’utiliser un objet pour ouvrir les portes du temps. Il s’agit bien souvent d’une machine complexe, inventée par un savant fou. Cela peut aussi être un lieu ou un événement météorologique. Ainsi, son accès est limité à quelques personnes et contrôlé. Cela évitera que n’importe qui s’introduise dans le passé pour devenir le roi du monde (enfin, normalement).

Ce jeu intègre le retour dans le passé pour résoudre des puzzles.

Si vous choisissez d’utiliser une machine, elle doit présenter des limites technologiques. Cela peut être une question de ressources. Dans Retour vers le futur, le convecteur temporel est gourmand en énergie. Dans le premier film, la Delorean a besoin de plutonium, une ressource déjà difficile à obtenir en 1985, mais impossible en 1955. Comme dans le 3e opus, toute l’histoire du film repose sur le fait que Marty est coincé et doit cohabiter avec ses aïeux.

L’appareil peut également ne permettre le voyage que d’une seule personne à la fois. Cela évite l’invasion du passé par une armée moderne. C’est notamment le choix de Terminator ou de X-men, Days of futures past. La limite peut aussi provenir de la conception même. La série Les voyageurs du temps (2016) utilise une astuce habile pour restreindre les voyages : on ne peut remonter plus loin que le voyage précédent (c’est d’ailleurs la théorie du physicien Paul Davies). Le premier ayant eu lieu le 11 septembre 2001, tous ceux qui suivront iront à une date postérieure. Pas question donc de visiter la Préhistoire. Cela permet même quelques ressorts scénaristiques. Parfois, le voyage ne peut se faire que dans des conditions physiques précises. Dans Stargate SG-1, le vortex doit traverser une étoile pendant une éruption solaire pour changer d’époque.

La loi et les règlements sont aussi un bon moyen de contrôler l’accès au passé. Dans Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, l’usage des retourneurs de temps est soumis à des restrictions, et les possibilités sont limitées. Si un tour permet un retour d’une heure, difficile de revenir 1000 ans dans le passé.

Un autre biais consiste à rendre le voyage chaotique. Dans Dr Who, c’est finalement le Tardis qui décide où et quand aller quand il ressent le besoin. Le Docteur n’a aucun contrôle sur l’époque à laquelle il atterrit. Dans Les Visiteurs, une erreur de potion provoque l’arrivée dans les années 90 de deux médiévaux. Enfin, dans Nimitz, retour vers l’enfer, le commandant du porte-avion n’a aucun contrôle sur les évènements et subit l’aller-retour.

Une autre solution consiste à donner un cout au voyage. Nous avons déjà parlé des ressources qui peuvent être difficilement accessibles. Pour éviter que le personnage ne fasse trop d’aller et retour en toute liberté, l’auteur peut choisir des conséquences sur la santé du voyageur. C’est le choix de Diana Gabaldon dans sa saga Outlander. Non seulement l’accès au passé est limité géographiquement (les lieux sont précis et rares), matériellement (besoin d’une pierre précieuse sur soi) et humainement (les élus sont rares), mais il coute à Claire de l’énergie. Chaque voyage provoque de plus en plus de maux de tête et de faiblesse. Dans Interstellar, Cooper vieillit moins vite que ses proches restés sur Terre et passe donc à côté de leur vie.

Dance cet album, Yoko Tsuno voyage dans le temps pour empêcher une invention qui condamnera l’humanité. C’est le début d’une série d’aventures sur ce thème.

2. Les raisons du voyage et la tentation d’intervenir.

Les raisons qui poussent votre personnage à entreprendre le voyage vont influencer le type de récit que vous allez construire. Les problématiques et les conséquences ne seront pas les mêmes. Un voyage accidentel sera l’occasion de chercher le moyen de retour, tandis qu’un passage délibéré demande des motivations fortes. Dans Les voyageurs du temps, L’armée des 12 singes ou encore Terra Nova, l’humanité est condamnée à sa destruction. Les voyageurs n’ont donc plus rien à perdre à revenir dans le passé. Voici les principales :

– le simple tourisme. Dans le livre, La machine à voyager dans le temps de H.G.Wells, le héros ne fait que raconter ce qu’il a vu dans le futur. Dans le film Timescape : Le Passager du futur (1992), le héros comprend que des touristes du futur viennent assister à des catastrophes passées. Dans Les Temps parallèles de Silverberg, des voyageurs visitent une Constantinople antique ou écoutent un discours de Jésus. Ce type de récit glisse rapidement dans la problématique la trace anachronique laissée, voire de l’intervention.

– la tentation d’empêcher une tragédie. Imaginez que vous ayez une machine à voyager dans le temps et que vous vous retrouviez en Allemagne dans les années 1930, il vous viendrait rapidement à l’idée d’empêcher l’avènement du IIIe Reich. Ce thème éculé est pourtant toujours efficace et se décline avec d’autres évènements. Dans Nimitz, retour en enfer, un porte-avion a la possibilité d’empêcher l’attaque imminente de Pearl Harbour. Dans la saga Outlander, Claire Fraser tente de retourner la bataille de Culloden en faveur des Écossais. Cette question d’intervenir est inhérente aux voyages dans le temps. Il peut être motivé pour empêcher un évènement tragique soit personnel, soit humanitaire.

– L’uchronie. Ce genre s’intéresse à une version alternative de l’histoire, si l’un des évènements majeurs ne s’était pas déroulé. Sa modification peut être parfois expliquée par un retour dans le passé. L’écriture de ce type de récit demande une bonne connaissance de l’histoire, en particulier si le point modifié est proche de nous. C’est aussi un thème récurrent dans les séries de science-fiction comme Sliders, les mondes parallèles, notamment avec la théorie des mondes parallèles. Elle suppose qu’à chaque choix important, une réalité parallèle voit le jour avec des issues différentes. Quand cette nouvelle route s’avère être une impasse pour l’humanité, il n’est pas rare qu’un voyageur remonte le temps pour l’empêcher. Le spectateur a moins de scrupule à assister à la modification du présent du héros, puisque ce n’est pas SA réalité.

Cependant, modifier le passé n’est pas sans conséquences. Cela engendre des paradoxes et votre récit peut devenir très rapidement incohérent. Un bel exemple est celui du grand-père.

  • Le paradoxe du grand-père

Aussi appelé le « paradoxe de Barjavel », cette question est soulevée dans Le voyageur imprudent de Barjavel. Il soulève le point suivant : si je vais dans le passé et que je tue mon grand-père, alors ni mon père ni moi ne voyons le jour. Dans un tel cas, je ne peux remonter le temps et le tuer, donc je nais, etc. Il n’y a pas de solution à ce problème, en dehors d’éviter d’avoir des interactions qui pourraient avoir des conséquences importantes pour le futur.

Changer le passé est une solution bien pratique quand tu n’assumes pas d’avoir tué la poule aux œufs d’or et que tu veux continuer de faire des films. (Avengers, Endgame)

3.Contourner le problème.

Vous l’aurez compris, toucher aux voyages dans le temps peut vite devenir périlleux. Outre le fait que le thème est populaire, il suppose une maitrise fine de son récit et de son univers pour ne pas tomber dans l’incohérence. Pour éviter cela, plusieurs solutions s’offrent à vous :

– le voyage involontaire : le héros se trouve accidentellement dans le passé et cherche à revenir sans rien toucher à l’histoire. Son enjeu principal sera de rester discret et de ne commettre aucun anachronisme. Citons par exemple les livres La cabane magique.

– Les points fixes. Plusieurs récits ont fait ce choix. Dans Outlander, les efforts de Claire et Geilis d’éviter la défaite de Culloden restent vains. Ce type de récits montrent l’acharnement du héros à empêcher une catastrophe qui aura malgré tout lieu pour donner le monde que l’on connait. La série Dr Who parle, quant à elle, de points fixes dont la modification provoquerait la fin du temps lui-même. Dans le film, La machine à voyager dans le temps (2002), le héros tente d’empêcher la mort de sa fiancée de plusieurs façons différentes en vain.

– revenir à une époque trop lointaine pour qu’il y ait des conséquences. C’est le pari de la série injustement boudée Terra Nova (2011). Pour sauver l’humanité, une agence du futur envoie des colons dans le Crétacé. On assiste à une histoire de survie à mi-chemin avec Jurassic Park et évite les modifications gênantes du futur.

– La prophétie autoréalisatrice. C’est le choix de plusieurs histoires. En modifiant le passé, le héros provoque en réalité l’évènement qu’il souhaitait éviter. L’un des films qui décrivent le mieux la complexité du thème est Prédestination (2014), même s’il parait assez étrange au premier abord.

– La boucle temporelle. Le héros est coincé dans une boucle temporelle et revit indéfiniment la même journée. Il peut donc modifier les évènements à volonté sans craindre les conséquences puisque le temps se réinitialise tous les matins. « Debout les campeurs, et haut les cœurs ! » (Un jour sans fin, 1993)

– choisir un ton léger. Pour faire passer la pilule et fermer les yeux sur les incohérences et les situations complexes, l’une des solutions est d’utiliser un ton humoristique. Il faut dire que le voyage dans le temps peut provoquer pas mal de quiproquos amusants. L’une des références en la matière reste l’incontournable Retour vers le futur. La rencontre accidentelle avec sa mère, une interprétation dynamique de Johnny B. Good ou encore l’intervention du Vulcain Dark Vador sont autant de blagues scénaristiques qui permettent de ne pas trancher au sujet du paradoxe du grand-père. Soyons honnêtes, c’est ce que nous aimons dans ce film : rire et profiter du voyage. Il en va de même avec Les Visiteurs qui préfère s’intéresser aux scènes incongrues qu’au réalisme.

Etre coincé dans une boucle temporelle, ça peut être perturbant (et donner le meilleur épisode de la série). SG1 4×06

Les voyages dans le temps sont légion en fiction : films, séries, livres, comics, pièce de théâtre, jeux vidéo… Malgré l’abondance des œuvres, le thème reste toujours aussi efficace. Il n’en demeure pas moins compliqué à traiter. J’espère que cet article vous aura permis de vous questionner sur la création de votre récit. Heureusement, je n’aurais pas à remonter le temps pour le corriger.

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