Conseils d'écriture

La rupture de genre

Aujourd’hui, je voulais vous parler du concept de rupture du genre littéraire. Un procédé à utiliser avec des pincettes :  

  •  Une rupture de genre, c’est quoi ?

On parle ici de genres littéraires. Ce sont des catégories qui servent à ranger les romans en fonction de leurs codes : polar, romance, historique, science-fiction, fantastique, fantasy etc… Naturellement, ces classifications sont parfois ambiguës et il n’est pas rare qu’un roman appartienne à deux genres différents. Cependant, classer une histoire dans un genre permet d’annoncer la couleur au lecteur. Selon notre humeur, notre disponibilité ou tout simplement nos préférences, nous n’avons pas forcément envie de nous tourner vers tel ou tel genre. Personnellement, en cette période de violence extrême, je n’ai pas envie de lire des romans trop sombres.

La rupture de genre, c’est lorsqu’une fiction s’annonçait d’un genre particulier, et bascule soudain dans tout autre chose. Attention, je ne parle pas de rupture du ton. Si les ruptures de ton sont encouragées, les ruptures de genre, elles sont à éviter à moins de très bien savoir ce que vous faites.

  •  Rompre le genre est risqué.

Le principal risque de rupture de genre est de perdre ses lecteurs en route, voire de les dégouter du récit. Il faut penser que le lecteur a choisi votre livre après avoir suivi les indices de la 1re et de la 4e de couverture, voire de l’étiquette. Il a acheté un type de récit qu’il s’attend donc à retrouver.

Comment vous sentiriez-vous si vous avez acheté un grille-pain qui finalement s’avère être un aspirateur ? Je caricature, mais voici l’idée. Si c’est mal fait, le lecteur aura l’impression de s’être fait duper par l’auteur. Imaginez que vous ayez acheté une romance contemporaine pleine de bons sentiments et que soudainement les extra-terrestres débarquent pour soumettre la Terre. Il y a de gros risques que le résultat soit ridicule

Admettons que le lecteur soit prêt à vous suivre dans ce retournement et à dépasser sa surprise. Il faut alors que le changement de genre n’engendre aucune incohérence avec le reste de l’histoire. C’est le risque lorsque l’on veut tellement surprendre que la révélation sorte de nulle part.

Par exemple : Imaginez un polar qui raconte l’enquête d’un policier sur une série de meurtres. Pour brouiller les pistes, l’auteur ne mentionne que des blessures réalistes, pour au final avouer que le meurtrier est un vampire. Le lecteur ne comprendra sans doute pas pourquoi le légiste n’a pas remarqué des traces étranges sur le cou des victimes, ou une exsanguination. Il se sentira d’autant plus trahi qu’il ne pouvait ni deviner le coupable ni anticiper le changement de genre. De même, si les vampires existent dans cet univers, il y a de fortes chances qu’il y ait déjà eu des cas précédents non élucidés partout dans le monde.

Changer de genre en plein milieu, voire à la fin, peut fortement déplaire au lecteur. On rentre ainsi dans le domaine de la rupture du contrat lecteur-auteur. Personnellement, je ne vais pas apprécier de voir du fantastique dans un roman historique, sauf si j’ai été prévenue avant.

 

Le film de 2002, commence avec un homme qui tente de sauver sa fiancée en remontant le temps, puis devient une histoire post-apo-survivalisme mal faite.

Pour illustrer la frustration du lecteur n’ayant pas lu un livre dans le genre auquel il s’attendait, je voulais vous partager une anecdote. Un ami auteur m’a raconté comment un lecteur s’était plaint après avoir mal compris le genre de son roman. Dans Massango, la voie du gladiateur, Fabrice Pittet raconte l’histoire d’un esclave qui veut gagner sa liberté au fil des combats. Un lecteur, qui n’avait pas vu la mention « fantasy » sur la couverture et la maison d’édition, s’est plaint du roman, car ce n’était pas un roman historique. Un petit tour dans les commentaires amazon et vous verrez des commentaires des méprises quant au genre littéraire du livre.

 

  • Alors, pourquoi le faire ?

Et pourtant, cela peut être un levier intéressant. Pour :

Provoquer la surprise. Dans le film Le dernier pub avant la fin du monde, d’Edgar Whright, on suit une bande d’amis contrainte par l’un d’eux de faire un barathon. On s’attend à un « bud movie », un Very Bad Trip à l’anglaise. Soudain, alors que la trame s’essouffle et qu’on se demande comment on peut tenir encore une heure sur le sujet, des robots débarquent et le film change complètement de genre. Dans Le Livre sans nom, l’auteur anonyme commence par une scène classique d’un homme qui commande un whisky dans un bar mexicain, avant de partir complètement dans autre chose.

augmenter l’impact de l’évènement perturbateur.Si l’histoire commence avec une histoire feel-good, la survenue d’un évènement horrifique ou merveilleux n’aura que plus d’impact. Cette rupture est assez familière avec les thrillers notamment : un personnage vit une vie tout à fait ordinaire jusqu’à ce qu’il se rende compte que son conjoint a des choses à se reprocher. C’est le cas du film My Name Is Khan, de Karan Johar. La première moitié du film reprend les codes d’une comédie romantique de Bollywood. Soudain, c’est le 11 septembre et le récit prend une tout autre tournure pour dénoncer l’islamophobie. Le couple sombre dans le malheur d’autant plus mis en relief par rapport au début du film.

pousser à la curiosité. Dans Le Monde après nous, adapté du roman de Rumaan Alam, l’auteur aborde une histoire d’apocalypse avec les codes du thriller psychologique. La balance entre les deux genres est déconcertante, mais permet d’approcher différemment un thème éculé. La rupture du genre permet aussi d’amener le lecteur vers un genre auquel il ne se serait pas intéressé de prime abord. Le lecteur de Massango, une fois la surprise passée, aurait bien pu apprécier de lire de la fantasy.

Réaliser un exercice de style. C’est le choix assumé de la série Wanda Vision. Appartenant à Marvel, on s’attend à se retrouver dans une histoire de superhéros en compagnie de La sorcière rouge et Vision. Les premiers épisodes déconcertent en reprenant les codes des différentes sitcoms depuis les années 50.Certains réalisateurs sont également connus pour cet exercice de style. C’est par exemple le cas de David Lynch. Dans Mulholand Drive, Lynch (déjà connu pour des œuvres qui mélange les genres) raconte l’ascension à Hollywood d’une jeune femme durant la première moitié du film. Puis, tout bascule dans le thriller. Il est loin d’être le seul. Beaucoup de maitres du suspens jouent sur la rupture des genres. Quentin Tarantino, par exemple, réalise souvent des films avec deux parties très différentes l’une de l’autre. Cela ne fait qu’augmenter la tension.

Dans Fenêtre sur cour, Hitchcock joue avec les genres. L’histoire commence comme un tableau de mœurs, pour basculer dans le polar.

  • Comment bien le faire ?

Vouloir changer de genre en plein en cours de récit est tentant pour susciter la surprise et augmenter l’intensité de la rupture avec la situation initiale. Cependant, pour ne pas dégouter le lecteur, voici quelques points d’attention :

annoncer l’étiquette. En indiquant le genre littéraire de la majorité du récit dès le début, vous évitez la déconvenue au lecteur. Pas besoin de trop divulgâcher, mais indiquer « thriller » sur une histoire qui commence comme une romance ou « fantastique », sur un résumé historique en apparence suffit. Cela peut même susciter de la curiosité, voire de l’impatience.

définir vous-même un genre en commençant l’écriture du roman. Parfois, il vaut mieux écrire deux histoires différentes que de fusionner deux concepts.

donner des indices dès le début : Lula et les monstres de Christelle Lebailly, l’incompréhension de quelques scènes fantastiques annoncent que l’histoire n’est pas aussi simple qu’elle n’y parait. En glissant des petites touches de fantastiques dans le récit, ou des remises en question de la réalité, le lecteur accepte progressivement que les apparences soient trompeuses. Vous l’amenez en douceur à accepter le changement de genre.

continuer avec les deux genres par la suite. Ici, on est moins dans la rupture de genre que dans l’introduction d’un second genre. Cela montre aussi que vous maitrisez votre récit et votre intention.

jouer sur l’ouverture du roman. Dans Ma chère Louise, le début du roman met en place l’histoire d’amour entre Louise et Guillaume. Les deux premiers chapitres suivent les codes de la romance. Pour bien signifier qu’il s’agit d’un roman historique, j’ouvre le livre sur une prolepse qui raconte une scène dans les tranchées. Cela me permet de poser le genre dès le début, malgré une digression apparente au début.

ce qui marche au cinéma ne fonctionne pas toujours à l’écrit. J’ai cité beaucoup de films dans cet article, sans doute parce que c’est un procédé qui réussit mieux aux films qu’au livre. À moins d’être au cinéma, on peut facilement arrêter si un film ne correspond pas à ce que l’on voulait voir. Personnellement, j’ai déjà abandonné un film pour cela. Il faut aussi dire que même si on a mal évalué le genre, voire que nous avons été trompés, il est plus facile de continuer quand même un film d’1 h 30 qu’un livre. Enfin, un livre a couté de l’argent et le risque que le lecteur en veuille à l’auteur de cette erreur d’étiquetage est plus grand.

Ainsi, la rupture de genre peut être intéressante. Elle correspond parfois à une démarche artistique. D’ailleurs, plusieurs mélanges de genre deviennent des genres à part entière, par exemple la romantasy ou le polar historique. C’est le principe des cases, elles sont aussi faites pour en sortir. Attention cependant à ce que la rupture soit bien réalisée et n’engendre pas de frustration ou d’incohérence. Nanarland est un site rempli de films qui n’ont pas su gérer la rupture de genre, ou pire, l’ont fait malgré eux. Je parie que le monde littéraire connait lui aussi ses nanars.

Et vous ? Avez-vous rencontré des ruptures de genre ? Avez-vous aimé ou au contraire détesté ?

Pas de commentaire

    Laisser un commentaire