Conseils d'écriture

Les bonnes raisons de rompre avec l’historicité.

Dans mes articles et mes vidéos, j’ai âprement défendu l’importance de respecter l’historicité et de faire de solides recherches pour écrire un roman historique. Aujourd’hui, je nuance mon propos, car un roman historique possède une part de fiction et n’est ni une thèse ni une biographie historique. L’auteur est donc amené à prendre des libertés, car il rencontre des contraintes qui sont difficilement compatibles avec son projet. Voici donc les bonnes raisons de ne pas respecter l’historicité :

  • La répétition des noms.

Parfois, un prénom est à la mode, trop même. Sans compter la pratique courante de l’homonymie dans l’histoire. Il n’est pas rare que le fils porte le nom du père. Parfois, on mentionne « l’ancien » ou « le jeune » pour faire la différence, mais ça se complique si l’usage persiste sur plusieurs générations. Cette tendance a duré très longtemps, il suffit de jeter un coup d’œil sur votre propre arbre généalogique. Il arrivait encore récemment de donner le nom d’un proche décédé à un nouveau-né. D’ailleurs, c’est toujours courant aux États-Unis.

Bref, cela peut être bien compliqué. J’ai vu récemment le témoignage d’une autrice qui ne s’en sortait pas avec la moitié de ses personnages qui s’appelait « Robert ». Récemment, je me suis intéressée à la véritable histoire derrière le film Kingdom of Heaven de Ridley Scott et on ne compte pas moins de quatre Baudoin. Si dans un film on peut aisément jouer sur les visages, dans un livre, c’est plus compliqué. Il existe alors plusieurs solutions :

– donner et utiliser des surnoms : Charles le Téméraire, Charles le Sage, Charles Le Fol, Charles le Chauve etc.

– utiliser les titres : Charles d’Angoulême, Charles de Navarre, etc.

– jouer sur le nom dans la langue d’origine du personnage : Catarina, Katherine, Catherine, etc.

– inventer un sobriquet non avéré qu’un personnage utilise pour en qualifier un autre : « gamin », « souricette », etc.

On manquait un peu d’inspiration « à l’époque » (sauf pour le dernier de la liste, qui me fait toujours rire)

  • Quand on manque d’information.

Plus on s’enfonce dans le temps, moins nous avons des informations. Nous gardons les traces des grands événements grâce aux chroniques ou à des témoignages. Et encore. Parfois, ceux-ci sont écrits tardivement, d’autres se basent sur des récits rapportés oraux ou des écrits perdus. C’est une règle en histoire, il faut se méfier des sources. Cela ne veut pas dire que tout ce qu’on apprend est faux. C’est justement le travail de l’historien de démêler le vrai du faux par une méthode précise et des études croisées.

L’archéologie renseigne également sur le quotidien : habitats, habitudes alimentaires, rites funéraires, rites religieux, etc.

Pour un écrivain, il est parfois nécessaire de s’éloigner de ce qui est avéré. C’est notamment ce que j’ai fait dans Le Crépuscule de l’aigle avec le personnage de Valina, l’épouse de Gondioc. De cette femme, nous ne savons même pas son nom. Nous savons juste que Gondioc est le beau-frère de Ricimer et que son fils nait aux environs de 450. Or, Gondioc est roi depuis 437 environ. J’ai supposé qu’il était peu probable qu’on n’ait pas marié ce roi très tôt (avant ou peu après son accession au trône). Il me faut donc expliquer ce laps de temps sans héritier. On peut supposer deux choses : soit il y a eu une première union sans enfant qui n’ait pas été mentionnée, soit une période d’infertilité. J’ai choisi la 2e option pour mon roman, mais la 1e aurait tout aussi été probable. Enfin, j’ai choisi de l’appeler « Valina », car le père de Ricimer s’appelait « Wallia » et que j’ai voulu donner un prénom aux sonorités proches.

À travers cet exemple, je montre qu’il arrive aux auteurs de s’arranger un peu avec l’histoire, voire à interpréter des lacunes. Il faut cependant faire attention que nos petits arrangements restent crédibles et plausibles.

  • Jouer avec un flou historique.

Il arrive qu’un auteur s’intéresse à un mystère de l’histoire. Un événement dont on n’a pas toutes les preuves qu’il se soit passé ainsi, parce qu’il manque (délibérément ou non) des informations. L’auteur propose donc UNE explication possible, tout en sachant qu’il peut avoir faux.

C’est par exemple le cas avec La princesse d’Aragon, de Philippa Gregory. L’autrice s’intéresse à la question de la non-consommation du mariage entre Catherine d’Aragon et Arthur Tudor (j’en parle ici). Deux possibilités :

– il ne s’est rien passé, comme l’a affirmé Catherine pour obtenir la dispense papale, et dans un tel cas comment expliquer que le couple n’ait rien fait durant les 6 mois de mariage ?

– le mariage a été consommé et Catherine a menti pour défendre soit ses intérêts personnels, soit les intérêts communs à l’Espagne et/ou l’Angleterre.

Philippa Grégory penche pour la seconde option et montre à quel point ce mariage avec Henri VIII arrangeait tout le monde de toute façon.

C’est un parti pris de l’autrice qui se base sur ses propres suppositions à partir de documents réels. Ici, nous sommes plutôt dans l’interprétation.

Dans sa série de livre, Maurice Druon attribue la chute des Capétiens à une malédiction lancée lors de la destruction des Templiers.

  • Fusionner les personnages.

Cette astuce est souvent utilisée pour contrer l’homonymie ou encore éviter d’introduire trop de personnages.

Dans la saison 1 des Tudors, on suit l’histoire d’une des sœurs du roi, Margaret. En réalité, le récit concerne celui de Marie, une autre sœur. Or, le prénom est déjà utilisé pour la fille d’Henri VIII. Pour éviter la confusion, ils ont fusionné les deux personnages. C’est une pratique assez courante. Ridley Scott dans Kingdom of Heaven, fait la même chose en fusionnant Balian d’Ibelin avec son frère Baudoin (mais comme il y a en a déjà deux dans le film…). En effet, c’est lui qui a une liaison avec Sybille, et non Balian.

Parfois, une information ou un élément de la trame est amené par une autre personne. Afin d’éviter de rajouter un personnage supplémentaire pour si peu de temps, on peut attribuer cette action à un personnage déjà existant.

Ces deux-là coutaient déjà bien assez cher en cachet.

  • Simplifier les enjeux.

Un événement est le résultat de plusieurs choix et événements différents. En tant qu’historienne, il est tentant pour moi de tous vous les exposer. Or, je dois me faire violence, car je suis face à un roman et non une thèse. Il me faut donc parfois simplifier les choses, sélectionner les informations qui seront pertinentes pour le propos principal et parfois mettre en silence un élément mineur.

 Dans Les étincelles du Printemps/Le vent des secrets, je parle de la révolution de 1848. C’est un ensemble de causes qui ont mené au Printemps des Peuples, dont plusieurs scandales politiques. Je ne les aborde pas tous, j’en ai choisi un qui illustrait bien la défiance des Français.

Dans le film Elizabeth de Kapor, le complot décrit à la fin est simplifié, sans doute pour permettre une meilleure compréhension et éviter d’introduire trop de personnages brièvement.

 

  • Inventer carrément de nouveaux personnages.

Si on craint de trop s’éloigner de l’histoire, ou de trop l’interpréter, la solution de facilité est d’inventer des personnages. C’est le choix que je préfère, car je reste libre de certaines contraintes, comme l’homonymie ou la mauvaise interprétation des personnalités existantes. En soi, c’est faux. Cependant, cela me permet de me placer au niveau sociétal que je souhaite et de permettre de montrer la vie d’un anonyme de l’Histoire. Et je crois que c’est ce que je préfère. J’aime montrer dans mes romans comment des individus lambdas se retrouvent aux prises avec des événements qu’ils n’ont pas décidés.

Certes, l’histoire de Guillaume de Baskerville est inventée, mais le travail d’Eco reste impressionnant !

Comme nous l’avons vu, il est parfois nécessaire de prendre quelques aménagements avec la réalité historique, en particulier dans les films qui possèdent une contrainte de temps (et de budget). Si un roman historique permet d’entrer plus profondément dans l’explication des événements, il n’en reste pas moins difficile de le faire sans perdre le lecteur. Pour toutes ces raisons, un auteur peut s’éloigner de ce qui est avéré.

Néanmoins, je prends le parti de toujours le mentionner. Je précise que mes personnages sont inventés, et ce que j’ai interprété. En tant qu’historienne, je pense également que mes lecteurs ont des attentes supplémentaires concernant mes propos.

Alors, si une fiction historique vous a intéressé, je vous invite à approfondir un peu le sujet. Et si vous avez des questions concernant mes livres, n’hésitez pas à me les poser !

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