Tranches d'Histoire

Écrire un roman sur la fin de l’Empire romain (partie 1)

1.Les difficultés

 

Quand je me suis lancée dans la rédaction de mon roman Le crépuscule de l’aigle, je ne m’attendais pas à rencontrer autant de difficultés. Je savais dès le début que j’aurais une documentation moins précise que pour Ma chère Louise (sur la Première Guerre mondiale), mais je ne pensais pas que je devrais fouiller autant pour trouver des informations.

Le crépuscule de l’aigle se déroule à la fin de l’Empire romain, à l’aube du Moyen âge. Il aborde la chute d’Attila, la ronde des empereurs sur le trône et l’installation des Burgondes dans la région lémanique. Autant de sujets qui ont soulevé des difficultés :

 

  1. Le manque de sources :
  •  Un désintérêt scientifique pour cette période charnière.

On aime les apogées. Il est bien plus facile de trouver des ouvrages traitant de la République romaine et du développement de l’Empire romain que de son déclin. En premier lieu parce que les contemporains de ces évènements ont été prolifiques et parce que les historiens se sont passionnés pour l’histoire glorieuse et haute en couleur de l’apogée romaine. Sans être pour autant muets, les historiens ont été moins bavards sur cette période. Cela est également accentué par la coupure académique entre l’Antiquité et le Moyen âge.

  • La césure académique et artificielle.

Quand se termine l’Empire romain ? Bonne question. Durant longtemps, les historiens se sont arrêtés sur la date de 410, le sac de Rome. Ils jugeaient que le caractère impressionnant de l’acte avait été un si grand choc qu’il marquait la fin d’une ère. Sauf que des pillages et des prises de Rome, il y en a eu d’autres par la suite, que Rome n’était déjà plus la capitale et que l’empereur gouvernait toujours. Ce n’est donc pas une coupure, mais un évènement. Plus tard, les historiens lui ont préféré la date de 476, celle de la destitution de Romulus Augustule. Or, cette date est également artificielle, car l’empire, déjà bien réduit, a perduré autrement. Les historiens sont souvent rattachés à une unité selon la période qu’ils étudient. Choisir une période de transition est donc déconseillé. Alors, qui des antiques ou des médiévistes s’occupent de la période entre 410 et 476 ? Chacun se renvoie la balle et du coup, il y a peu de recherches. Il a fallu attendre les années 1980 pour que Peter Brown, spécialiste de la question, invente le terme d’« Antiquité tardive » pour qualifier cette période de glissement.

  • Les sources chrétiennes à prendre avec des pincettes.

Comme toujours en histoire, il faut prendre les informations avec une certaine méfiance, d’autant plus quand elles datent. À partir du VIe siècle, une grosse majorité des sources proviennent de clercs. Pourquoi ? Déjà parce qu’au début du Moyen âge, la plupart des lettrés dépendent de l’Église. De plus, les monastères demeurent de hauts lieux culturels avec la transmission du savoir, la copie, et la conservation des manuscrits. Cela signifie que les textes ne correspondant pas aux valeurs chrétiennes avaient peu de chance d’être conservés. Par conséquent, c’est une vision moraliste du déclin de l’Empire romain qui s’est diffusée : l’esclavage, le paganisme, l’immoralité, les mœurs dissolues sont donc les principales causes avancées pour expliquer les évènements. Les auteurs chrétiens ont perçu la « chute de Rome » comme une punition divine. De même, de nombreuses sources concernant les peuples fédérés sont teintées par cette morale chrétienne. C’est notamment le cas des Burgondes que nous connaissons surtout par Sidoine Apollinaire qui les décrit comme des rustres sales et vulgaires.

Saint Martin de Tours, le soldat romain qui tourne le dos à la Rome décadente pour se tourner vers la religion. Bréviaire de Saint-Martin de Tours (XIVe), Tours BM 149, f. 144v

  • Des historiens en désaccord.

Chute, décadence, effondrement sont autant de termes qui ont auparavant qualifié la fin de l’Empire romain d’occident. Ce n’est que récemment qu’a été développée la théorie de la continuité, qui n’est d’ailleurs pas communément admise. Durant longtemps, on attribuait la faute aux « invasions barbares », au travail des esclaves et même au saturnisme (intoxication au plomb contenu dans les canalisations). Il n’est pas rare de trouver un ouvrage défendant encore ces idées, bien que la recherche actuelle les contredise. L’invasion est devenue une migration progressive, étendue dans le temps et plus fluide. En fait, il semblerait que les causes sont multiples. Les historiens penchent pour une crise démographique et économique en partie due à de mauvaises conditions climatiques. L’appauvrissement des peuples a permis à la population de glisser dans un système de clientélisme avec une augmentation des pouvoirs locaux.

On parle donc plus de mutation, d’évolution de l’Empire romain d’Occident. Car n’oublions pas que celui d’Orient a perduré jusqu’en 1453.

  • Le manque de sources antiques et médiévales.

Disons-le franchement, il y a nettement moins de documentation. La difficulté de conserver le papier, la mise par écrit tardive des faits (parfois plus de 50 ans après) et la priorité donnée aux évènements impressionnants ne m’ont pas aidé. Les contemporains, plus préoccupés par les Vandales et les Wisigoths, ont peu écrit sur les Burgondes. Or, de nombreux peuples fédérés fonctionnaient avec la tradition orale, ou parlaient une autre langue que le latin (tout en le connaissant). À cela se rajoute parfois la confusion des auteurs antiques entre les peuples qu’ils appelaient « barbares » ou « goths » alors que la réalité était bien plus complexe.

  1. Les conséquences:
  • Les Burgondes, un peuple méconnu.

Nous ne possédons que très peu d’informations concernant les Burgondes. Contrairement aux Vandales qui menaçaient Rome au point de la mettre à sac en 455, et aux Wisigoths qui ont donné du fil à retordre à l’empire, les Burgondes ont été plus discrets et moins influents à la cour impériale. Ils ont moins attiré l’attention des chroniqueurs. Par conséquent, nous en savons que peu de choses sur eux.

L’adoption de la culture romaine, l’oralité de leurs traditions et le caractère hétéroclite de leur peuple rendent difficile l’établissement de leur portrait. Aujourd’hui encore, je n’ai trouvé que deux historiens francophones travaillant sur eux : Katalin Escher et Justin Favrod.

Avouez, c’est surtout ce que vous évoque le terme « burgonde »(Kaamelott)

  • L’aire helvétique ignorée.

Même constat pour la région d’Aventicum où se déroule l’action de mon roman. Relativement épargnée par les attaques extérieures, la province a suscité moins d’écrits que d’autres. Désintérêt ou lacune en termes de conservation des manuscrits ? Bonne question. Toujours est-il qu’il ne reste pratiquement rien du Ve siècle sur le plateau helvétique en dehors de textes hagiographiques tardifs et confus. Le changement de province d’Aventicum en cours de période n’arrange rien. Heureusement, j’ai pu trouver quelques travaux de Justin Favrod sur le sujet.

  •  Broder, mais pas trop.

C’est la grosse difficulté quand on écrit un roman historique : jouer entre la fiction et la réalité. En utilisant Gondioc, le roi burgonde dont on ne sait pratiquement rien, en inventant des péripéties et un complot à Avenches, j’ai pris des libertés historiques. Cependant, concernant la description des repas, des vêtements, de la société de l’époque, j’ai essayé de correspondre au plus près à l’état actuel des recherches.15

Néanmoins, j’ai pu trouver des ouvrages scientifiques sur le sujet, ainsi que des articles, des documentaires et une exposition. Je vous les présenterai dans une seconde partie.

2 Comments

  • Nathalie
    mai 17, 2021 at 2:58 pm

    Hello, oui en effet cette période est très peu étudiée. A Paris I, je n’ai étudié principalement que le Haut-Empire et surtout Auguste. Du coup, j’ignore tout de l’Antiquité tardive. Bon travail en tout cas.

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    • Amélie H.
      mai 17, 2021 at 4:30 pm

      Je n’ai étudié que la fin de la République romaine en L2. C’est dommage parce que je trouve passionnante l’Antiquité tardive.
      Merci 🙂

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